Sacré nom d'une pipe, et c'est même à donner sa langue au chat : 'administration algérienne a un sacré problème avec l'onomastique la toponymie et l'anthroponymie ! Pour s'en convaincre, voir les noms de rues et des places publiques, ceux des nouvelles cités d'habitation et considérer le fait même qu'on ne puisse pas choisir librement un prénom berbère. Nom d'un nom d'un nom, ce «blocage» onomastique et cette schizophrénie toponymique relèvent d'un surréalisme qui n'a pas de nom ! Notre mal-nommée administration a décidément un problème avec la mémoire collective, l'Histoire, les terroirs et les territoires. Et, par conséquent, avec l'identité. Dans tous les pays du monde, les noms de personnes et de lieux, de même que les prénoms, s'inspirent de la réalité, de la culture et de l'Histoire. Sauf chez nous. Et lorsqu'on veut bien s'inspirer de l'Histoire, par exemple, on se limite à des périodes précises tout en «effaçant» de longues ères historiques, comme si l'Histoire n'est pas un continuum. Pour nombre de noms de lieux, de même que pour les prénoms, l'Histoire en question commence avec l'adoption de l'Islam et se poursuit avec la guerre de Libération et l'Indépendance. Et quand l'Administration a fini par autoriser l'adoption de prénoms berbères, elle a établi alors une nomenclature restrictive de 300 prénoms masculins et féminins, au mépris des préconisations du Haut-commissariat à l'amazighité qui a proposé une liste de 1000 noms ! Mais là aussi, symptôme schizophrénique, on a autorisé des prénoms de certains rois numides mais pas d'autres. Par exemple, dans la liste des prénoms masculins, Massinissa mais pas son second fils Gulusa et son petit-fils Massiva. Et si les Mastanabal, Micipsa, Takfarinas et autre Schashnaq sont libres d'adoption, les Hiempsal, Capussa, Masukan et Isalcas sont en revanche interdits. Et faudrait-il encore que les prénoms permis soient transcrits selon la phonétique arabe. Ce qui donne Youba pour Juba, Yanayer au lieu de Yennayer, Kousseila à la place de Koceilah et Sifaks comme substitut à Syphax. De même pour le prénom féminin Dhihya transformé en Dahiya. Dans la liste des prénoms de femmes, on a même autorisé un étonnant Koukou qui sonne très masculin et qui rappelle le royaume kabyle éponyme. On a même considéré comme féminin le prénom Ayilmas qui est celui de l'arrière-grand-père de Massinissa. Et, peut-être simple trou de mémoire, on a «oublié» aussi Senifer, prénom de la mère de Massinissa. Omission encore plus troublante, le prénom de Kahena. L'explication se trouve robablement dans le fait qu'elle avait combattu les envahisseurs arabes et dans sa conversion improbable au judaïsme. Schizophrénie mémorielle rime également avec obsession idéologique lorsqu'il s'agit de donner des noms de lieux. On a, par exemple, le boulevard Che Guevara et la place Emiliano Zapata à Alger. Mais point de place ou d'avenue Massinissa, Jughurta, Takfarinas, Saint-Augustin ou Apulée de Madaure. Le comble est atteint lorsqu'on fait preuve par ailleurs d'un incroyable tic numérique qui consiste à nommer les nouveaux quartiers urbains ou ruraux par le nombre de logements construits. On habite donc à la cité des 820 logements à Bab Ezzouar alors qu'avant, les cités avaient des noms qui empruntent à la flore ou à l'arboriculture. Comme de résider à la cité des Bananiers, aux Eucalyptus ou aux Asphodèles. Les temps changent et la convivialité fout le camp, réduite par des esprits en béton armé qui confondent bien-être et poésie avec statistiques et numéros d'immatriculation. Nom d'un chien, cette tendance à effacer repères, référents et références propres à la mémoire, la culture, l'Histoire et les territoires, on la retrouve jusque sur les billets de banque ! Ailleurs, on frappe monnaie et émet des billets souvent à l'effigie des grands noms qui expriment le génie national et rappellent l'Histoire et l'identité du pays. Chez nous, à l'exception de l'Emir Abdelkader qui a orné un jour certaines coupures, aucune figure de martyrs et autres grands du pays n'illustrent nos billets pourris ! Absence schizophrénique alors même que nos glorieux chahid sont des repères dominants dans nos rues. Place donc à certains animaux qui ailleurs assurent un spectacle de cirque. Il est vrai, comme le dit Philippe Bouvard, «les rues sont pleines d'obsédés, de schizophrènes et de paranoïaques qui promènent leurs tics et leurs idées fixes comme d'autres sortent leur chien». N. K.