Noureddine Khelassi Pour la culture, il y a eu deux bonnes nouvelles en 2014 : la décision de dédier les abattoirs d'Alger à la création et la nomination de Mme Nadia Cherabi Labidi à la tête du département ministériel ad hoc. C'est si rare pour ne pas être signalé. Dans le registre des actes réjouissants, il y a eu aussi en 2013 une large pétition à l'initiative de plasticiens mobilisés sur la Toile pour empêcher la démolition de ce joyau architectural. Et, suprême bonheur, pour en faire un haut lieu culturel dans une ville asphyxiée par l'automobile et la malvie. Tout aussi heureuse est également la création d'Artbattoir, une association algéroise qui milite pour le même objectif. Il y a quelques années déjà, La Tribune avait elle-même milité dans ce sens, avec le slogan «les Abattoirs méritent la culture». Pour la culture, dans une capitale qui en manque cruellement, on n'est jamais de trop. À l'époque, le journal avait adressé une lettre publique au chef de l'Etat, sollicitant sa suprême entremise, sachant que c'est son intervention qui avait permis par ailleurs de transformer les anciennes Galeries commerciales de la rue Larbi Ben Mhidi en Mama, le Musée des arts modernes d'Alger. L'adjuration de La Tribune était une modeste requête pour un geste présidentiel modeste. Simple geste, mais acte majeur. Un pas salutaire pour la culture assassinée tous les jours par tant et tant d'égorgeurs, d'équarisseurs, d'écharneurs, de tripiers et de mégissiers, dans la peau de bureaucrates ou avec le cuir tanné de rois de la malbouffe. Le Président devait décider que les fossoyeurs de l'Administration soient empêchés de nuire en détruisant ce qui est, avant sa vocation initiale, une belle œuvre d'architecture. Il fut donc prié d'affecter les abattoirs du quartier des Fusillés à la culture et la création. Bref, tout comme il avait consacré à la piété collective sa gigantesque mosquée à Alger, il a, Dieu merci, permis de faire des abattoirs du Ruisseau un grand temple de la culture. Imaginons alors 24 000 m2, 3 salles d'abattage de 3 250 m2, des écuries de 3 764 m2, des espaces frigorifiques de 1 068 m2 et 26 carreaux d'égorgeurs, offerts aux écrivains, peintres, sculpteurs, plasticiens, cinéastes, vidéastes et dessinateurs. Une Mecque culturelle pour chanteurs, auteurs, compositeurs, acteurs de théâtre, de ciné et de télé, bédéistes, chorégraphes, musiciens, designers, libraires, muséologues, bibliothécaires et documentalistes. Là où l'on faisait saigner les bêtes, va devenir un haut lieu du gai savoir. Un Beaubourg algérois de la culture saignante, celle dont on se nourrit sans jamais se gaver. Pour nous, citoyens qui crevons de voir la chawarma cholestérolémique bouffer le livre, c'est un grand rêve en passe de se concrétiser. Ailleurs, c'est, depuis des lustres, une vie de tous les jours. Tenez, par exemple, le MACRO, le Musée d'art contemporain de Rome. Merveille d'architecture au cœur des anciens abattoirs dans le Testaccio, banlieue sordide de la capitale italienne, aujourd'hui grand centre culturel et paradis de la convivialité romaine. Tenez encore, les abattoirs de Toulouse, transformés en musée et en fonds régional pour la culture dans le Midi-Pyrénées. Et, n'oublions pas aussi la Grande Halle du marché à bestiaux et les abattoirs de la Mouche à Lyon, imaginés par l'architecte Tony Garnier en sanctuaire de la culture française et universelle. «Le temple est mon pays, je n'en connais pas d'autre», disait Jean Racine. Et, encore pour mémoire, les vieux Docks de Marseille, offerts en dot de mariage à la culture, son diadème culturel étant le Théâtre de la Criée. Ou encore le 798 de Pékin, ancienne usine d'équipements électriques réaménagée en village d'artistes. Donc, un rêve de créer à Alger un pôle culturel continu et cohérent, accueillant Dar Abdeltif, le Musée des Beaux-arts, la Bibliothèque nationale, les futurs abattoirs culturels et, dans le prolongement, le Palais de la Culture. Aujourd'hui, siège du ministère éponyme, mais pas encore tout à fait, celui de la Culture. Sauf si Mme Nadia Cherabi, femme de sensibilité culturelle, décidait de nous faire oublier les années festivalières d'une Toumi d'inculture, de déculturation et d'indigence intellectuelle. N. K.