Les djihadistes sunnites, en Irak et en Syrie, ont proclamé dimanche soir la création d'un califat islamique, comme ils l'avaient annoncé au début de leur opération le 9 juin dernier dans le nord-ouest irakien. Cette annonce intervient deux jours seulement après l'annonce par l'Etat islamique en Irak et au Levant de sa fusion avec les djihadistes de Forsane al-Nosra qui contrôlent plusieurs villes syriennes frontalières avec l'Irak. L'Eiil a aussi annoncé sa volonté d'étendre son hégémonie à la Jordanie, dont les responsables sont accusés par des voix syriennes de laisser leurs frontières ouvertes aux combattants étrangers qui viennent lutter contre le régime de Damas depuis mars 2011. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a conforté cette thèse en affirmant samedi, lors d'un Conseil des ministres, son intention de bâtir un mur tout au long de la frontière israélienne avec la Jordanie, a rapporté le quotidien israélien Haaretz dans son édition du dimanche. L'Eiil a indiqué que ce «califat» s'étendait au départ de la ville d'Alep (nord de la Syrie) à Diyala (est de l'Irak) et prévenu qu'il était du «devoir» de tous les musulmans du monde de prêter allégeance à son chef, Abou Bakr Al-Baghdadi, proclamé «calife Ibrahim». La proclamation de l'établissement du califat va encore bouleverser la donne au Proche-Orient, voire au-delà de cette région qui vit une instabilité chronique, en raison de la lutte permanente opposant principalement l'Arabie saoudite à l'Iran, sans oublier le conflit israélo-palestinien et la crise interne au Liban. Le séisme provoqué par «le printemps arabe» a eu aussi des conséquences sur les pays de la région, notamment la Syrie où la déferlante djihadiste risque d'emporter le régime de Bachar al-Assad que l'opposition politique modérée n'a pas réussi à chasser du pouvoir pacifiquement depuis maintenant quatre ans. Face à ce désordre général en Irak et en Syrie, une question s'impose d'elle-même : quelles conséquences aura-t-elle cette annonce de l'Eiil sur les pays arabes, à commencer par les voisins de l'Irak et de la Syrie ? Menace globale L'ambition de l'Eiil et de son allié syrien Forsane al-Nosra, branche locale d'Al-Qaïda en Syrie, est la création d'un Etat islamique dans la région, regroupant pour le moment l'Irak, la Syrie et la Jordanie. Accusée de soutenir les extrémistes sunnites, l'Arabie saoudite se laissera-t-elle envahir par les terroristes de l'Eiil ? Il est en fait peu probable que ce mouvement aille jusqu'à chercher à étendre son contrôle sur le territoire des Etats sunnites voisins. Considéré comme les principaux financiers du terrorisme international et des mouvements de contestation populaire dans les pays arabes, l'Arabie saoudite et le Qatar ne semblent aucunement craindre l'Eiil et Al-Qaïda. Ils étaient accusés, l'un et l'autre, par le gouvernement de Nouri al-Maliki de soutiens financier et logistique aux terroristes de l'Eiil pour déstabiliser un Irak qui n'arrive toujours pas à se remettre du chaos engendré par l'invasion américaine de 2003. Les enjeux économiques et énergétiques accréditent cette thèse qui consiste à fractionner l'Irak en micro-Etats pour pouvoir mieux contrôler ses richesses naturelles et rassurer Israël contre toute menace dans la région. La vieille lutte confessionnelle entre chiites et sunnites, représentés par l'Iran et l'Arabie saoudite, constitue un autre élément d'analyse pour comprendre les enjeux de la création d'un califat dans la région où les frontières tracées par les anciens colons français et britanniques semblent céder la place aux anciens tracés frontaliers d'avant la Première Guerre mondiale (voir encadré). Par ailleurs, en cas de non-intervention de l'armée américaine et de la Russie en Irak, pour soutenir le gouvernement de Baghdad à sauvegarder l'unité territoriale de l'Irak, il est permis de penser que la création de ce califat ouvrira la voie à la chasse à la minorité chiite au Yémen et dans les autres pays de la région. Si l'Irak venait à éclater, à cause de l'Eiil, on est en droit de craindre une contagion dans le Sahel et d'autres Etats africains où les groupes djihadistes manifestent de plus en plus de violences à l'égard des civils et des autorités de ces pays, comme les Shebab en Somalie, Boko Haram au Nigeria, Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) dans le Sahel et en Libye et en Tunisie. Autrement dit, tous les scénarios sont possibles face à une politique de lutte anti-terroriste américaine sélective, souvent passive, dans ces pays où l'intégrité territoriale des Etats a été fragilisée, directement ou indirectement, par les choix politiques de Washington et de ses alliés occidentaux. L. M. Accords Sykes-Picot Conclus le 16 mai 1916 entre la France et le Royaume-Uni, ces accords, secrets, portent les noms du conseiller diplomatique britannique Mark Sykes et du premier secrétaire français de l'ambassade à Londres François-Georges Picot. Ils prévoient, à la fin de la Première Guerre mondiale, le découpage et le partage des provinces arabes de l'empire ottoman entre les deux grandes puissances coloniales. Les alliés avaient prévu une zone bleue qui devait être administrée par la France comprenant la Cilicie (située dans la Turquie actuelle), le littoral syrien, l'actuel Liban et le nord de la Palestine, et une zone rouge sous autorité britannique, comprenant la Mésopotamie (l'est de l'Irak actuel) et le Koweït. Entre ces deux zones, les Occidentaux avaient tracé les frontières d'un futur état arabe, qui lui-même aurait été divisé en deux zones d'«influence», selon les termes du traité. La zone A, accolée aux provinces françaises comprenant Damas, Alep et Mossoul, et la zone B, d'Amman, en Jordanie, à Kirkouk, en Irak, qui aurait été sous influence britannique. Pour Didier Billon, directeur adjoint de l'Iris et spécialiste du Moyen-Orient, les accords de Sykes-Picot peuvent être résumés comme «la volonté des deux puissances impériales de l'époque d'établir un nouvel ordre régional, de dessiner des frontières au Moyen-Orient en fonction de leurs intérêts». Source : France 24