L'art doit forcément véhiculer un message. Un message de paix, de fraternité et d'amour. À la beauté de l'œuvre se joignent des idées et des positions, nécessairement généreuses et passionnées, pour compléter le tableau. Autrement, il ne sert presque à rien de produire une esthétique muette, hydride. Les grands artistes, les immortels, sont souvent porteurs de concepts novateurs ou défendent crânement des causes justes. On ne peut vraiment prétendre à l'exercice sans disposer d'un projet de cette envergure-là. Il est vrai que, de nos jours, cette haute conception de l'art est en net recul dans nos pauvres contrées. Les artistes engagés se sont comme éclipsés, cédant le terrain à des stars éphémères et d'insensés fêtards. Ce renoncement, qui a par ailleurs ses raisons objectives, est à l'origine du marasme qui affecte les sociétés africaines et arabes. Parlant du drame algérien et de la sanglante décennie 1990-2000, l'écrivain Hassan Bouabdellah, fait cet aveu cinglant : «Je me sens personnellement coupable de ce qui se passe en Algérie. Sans avoir jamais eu la responsabilité directe, j'estime, qu'en tant intellectuel, je n'ai pas fait assez pour éviter cela à mon pays.» Tous les artistes et les intellectuels du tiers-monde, aujourd'hui plus qu'hier, portent la même culpabilité morale. Durant la période coloniale, nos artistes de l'époque ont fait de la liberté et de l'indépendance de leur peuple un sujet qui les a porté au firmament. Leur apport, intellectuel et moral, au succès de la Révolution du 1er Novembre 1954 est immense. À ce jour, on n'a jamais eu tant de génies et beauté réunis. Les Feraoun, Mammeri, Kateb, Dib, Zakaria et Ben Badis, parmi des centaines d'autres, resteront, pour l'éternité, des géants aux yeux du peuple algérien et des militants de la liberté à travers le monde. C'est dire la haute considération que l'on se fait, et à juste titre, de l'art sincèrement engagé et désintéressé. La scène arabe, depuis les années 1920 jusqu'au début des années 1970, ne manquait pas, non plus, de grands phares qui éclairaient la société de leurs opinions avisées. Pour ne citer, cette fois-ci, que des chanteurs et des poètes bien connus, rappelons le souvenir des Sayyid Darwîch, Oum Koulthoum, Muhammad Abdel-Wahab, Cheikh Imam, Fayrouz, Marcel Khalifa, Tawfiq Zayad et Mahmoud Darwîch entre autres. Cet élan, franc et honnête, a été étouffé durant les années 1970 et 1980 avec l'émergence tapageuse d'une génération de laudateurs et d'opportunistes au service des régimes politiques despotiques. Dès lors, le peuple n'avait plus confiance en ces artistes qui, du jour au lendemain, se sont attablés avec le diable. Blasée par cette révoltante trahison des clercs, la rue arabe est devenue cynique, professant le mépris des conventions sociales et ignorant délibérément ses grandes causes et son destin commun. Les Palestiniens étaient les premiers à en payer les frais. Profitant de cette renonciation, l'occupation sioniste commet ses premiers massacres à grande échelle à commencer par le génocide de Sabra et Chatila en 1982. L'opinion publique arabe dégageait depuis l'image d'un troupeau malade et sans guide. La tragédie, encore fumante, du printemps arabe y trouve aussi ses explications profondes. À la lumière de cet état des lieux, on devine naturellement que les milieux artistiques se sentent désarmés face aux martyrs de Ghaza. Peu sont, en effet, les voix arabes qui seraient aujourd'hui capables de faire contrepoids à la barbarie israélienne. C'est pourquoi des footballeurs européens s'en chargent comme ils peuvent... K. A.