Plusieurs hommes de lettres sont venus témoigner de leur travail, après avoir côtoyé intimement l'oeuvre de cet incommensurable auteur Ampoulé, souvent dithyrambique, glorifiant majestueusement la mémoire de Mahmoud Darwich, le colloque qui s'est tenu samedi dernier au Musée d'art contemporain et moderne a rassemblé une pléiade d'intellectuels arabes et européens afin de discuter, parfois expliquer sans grande prétention, nous souligne-t-on, que d'«approcher l'oeuvre de Mahmoud Darwich», mais de le décortiquer quand même, voire le peser et l'estimer à l'échelle mondiale, à hauteur de sa valeur effectivement éternelle et inestimable. Pour ce faire, trois tables rondes ont été animées, en présence de proches, de compagnons de Mahmoud Darwich. Ecrivains, poètes, traducteurs et penseurs, chacun témoignera de par son travail d'avoir intimement côtoyé l'oeuvre de cet incommensurable auteur. D'abord, Rachid Koraïchi qui a bien connu Mahmoud Darwich à Tunis, faisant remarquer que le travail exposé aujourd'hui au Mama date de 30 ans. «Mahmoud Darwich travaillait à l'époque à la Ligue arabe, à Tunis. Il avait son atelier de travail juste à côté de chez moi. Je lui ai proposé de travailler ensemble. Je ne suis pas illustrateur. Ma démarche consistait à suivre le déclenchement d'un texte. L'approcher par le signe et le symbole. Beaucoup de mes gravures ont été réalisées dans des moments de grandes douleurs dont l'encerclement et le bombardement de Beyrouth. L'idée était aussi de l'accompagner, en plus de mes 21 gravures, par des oeuvres d'autres artistes, dont ces calligraphies d'un Irakien», a expliqué le plasticien. Ensuite, son éditeur, le Syrien Faroul Mardam-Bey, précisera: «Avant d'être son éditeur, j'étais son ami et avant cela j'étais un lecteur comme tous dans le monde arabe. Aussi c'est comme cela que je vais vous parler de lui...» Par ailleurs, le directeur de la collection Sindbad chez Acte Sud énuméra les différentes étapes littéraires ayant jalonné la carrière de Mahmoud Darwich faite, dit-on, d'évolution, de remise en question et de rupture. Mahmoud Darwich, fera-t-on remarquer, a commencé par publier à l'âge de 18 ans (La Feuille d'olivier). «Sa première approche poétique a été politique, caractérisée par un appel d'espoir et de résistance, fasciné qu'il était par Adonis et l'audace notamment de la poésie irakienne. Une écriture marquée par un romantisme révolutionnaire et un lyrisme débridé.» Puis vint la rupture en 1970 où il est parti s'installer au Caire et à Beyrouth. Il va «désarçonner» par son écriture qui se lancera dans une nouvelle direction dont «l'écho sonore où le politique n'étouffera pas la volonté poétique». Mahmoud Darwich portait un regard sévère, affirme-t-on, sur sa période beyrouthienne. Elégies funèbres, déclamation, le désir de capter le pouls de la rue. L'exil palestinien sera autant un «exil intérieur». Puis vient la période de la poésie d'amour avec, notamment Le lit de l'étrangère, dans un contexte politique hostile...Ce sera l'introduction du sonnet de 14 vers et le dialogue avec la poésie européenne. Mahmoud Darwich publie alors 4 recueils et se met au livre en prose. On cite entre autres Etat de siège, Ne t'excuse pas, Le Traité du papillon. Pour Adel Karachouli, qui a traduit la poésie rabe en allemand et, notamment Mahmoud Darwich, ce dernier représentait «ce cri de conscience qui rêvait, tel un enfant naïf, d'un monde meilleur fait de paix et de sérénité». Adel Karachouli lira à ce propos une lettre dithyrambique où il louait les valeurs de Darwich, une lettre posthume qu'il avait rédigée et lue en Allemagne à la suite du décès du poète palestinien. Pour sa part, l'écrivain algérien Rachid Boudjedra en décrivant l'homme, dira que Mahmoud Darwich qu'il a connu aussi en Tunisie, «avait souvent les yeux larmoyants exprimant ainsi ses inquiétudes et souffrances qui se confondaient avec sa profonde affliction due au déchirement de son pays. Il était un grand créateur, véritable ambassadeur de la cause palestinienne». Dans un autre registre portant sur la traduction, Inaâm Bayoud a tenté dans une courte analyse d'un poème de Darwich de faire remarquer la différence qui existe entre un poème original et son interprétation en se basant sur l'art de la rhétorique. C'est pourquoi, l'Espagnol Luz Gomez Garcia rétorquera que son expérience de traduction de l'oeuvre de Darwich a été «d'abord personnelle et non pas académique», faisant allusion à la «trahison» fatale faite à l'oeuvre originale qui importe peu, selon lui. Plusieurs autres intervenants ont tenté de cerner la poésie de Darwich en témoignant de leur action envers ce monument de la poésie arabe. Reste que le colloque, en tirant en longueur, a quelque peu ennuyé les présents dont d'aucuns ne maîtrisaient pas forcément la langue d'El Moutanabi. Les discours de ces chers intellectuels tombaient parfois à côté. L'essentiel c'est qu'on a beau tergiverser, disserter sur l'écriture de Mahmoud Darwich, le poète est entré indubitablement dans la postérité. Il faudrait d'abord se demander, comme l'a si bien souligné Adel Karachouli: «A-t-on réellement conscience de ce qu'a fait Darwich pour la poésie arabe?», mais aussi grâce à son message sublime, de paix et de bravoure auquel il appartient aujourd'hui au monde de s'en servir et d'en prendre vraiment acte avec efficacité et audace... C'est à juste titre que Darwich n'a cessé d'être assimilé à un chevalier brandissant sa plume comme un «poignard». Un signe fort de rupture et de rédemption active.