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Une lutte des classes et des peuples à l'échelle mondiale
Ghaza
Publié dans La Tribune le 22 - 01 - 2009

Mettez bout à bout les informations. Celles qui transitent par les médias et celles qui passent par la contrebande du Net. Après vingt-deux jours de bombardements aériens et terrestres d'une population affaiblie par un an et demi de blocus, six pays européens et l'Egypte s'accordent sur un «cessez-le-feu». Ils auront laissé à Israël tout le temps nécessaire pour faire sa sale guerre.
La fête d'Obama était la seule limite de temps. Elle n'a été que très formellement respectée. Israël, l'Egypte et les six pays européens ont décidé de leur cuisine en dehors du cadre de l'ONU. Israël n'est tenu par aucun texte de portée juridique opposable. Ces six pays européens et leurs alliés arabes ont continué le sale travail de l'administration américaine qui a consisté à sortir la question palestinienne du cadre du droit international. Elle n'est plus qu'un problème de volonté de quelques puissances mondiales ou régionales, une affaire privée. Ce «cessez-le-feu» n'est pourtant pas la fin de la guerre contre les populations de Ghaza. Les six puissances européennes se sont engagées à assurer la sécurité d'Israël en procédant elles-mêmes au blocus de la bande de Ghaza pour interdire l'arrivée des armes au Hamas. Au Hamas seulement ou aussi au FPLP, au FDPLP, au Djihad islamique et aux comités populaires ? Avec quels moyens. Les seuls qui soient disponibles, ceux de l'OTAN. Ont-ils un mandat international pour imposer un blocus à Ghaza. Pas du tout. Mais, du coup, ils offrent à Israël une légitimité à son blocus unilatéral qu'il ne s'empêchera pas de continuer. Ils lui offrent plus : le jugement d'un tribunal auto-constitué qui a rendu un verdict de culpabilité : le Hamas s'arme en contrebande. Ces pays européens ont-ils versé des larmes de crocodiles sur les victimes de Ghaza, sur les enfants suppliciés, sur les victimes d'armes interdites au phosphore blanc et à l'uranium appauvri ? Evidemment. Pas le moindre reproche sur l'usage de ces armes. Le réquisitoire était clair. Le Hamas est coupable. Contresigné par Abbas et l'Egypte, le représentant le plus agressif de l'axe anti-iranien, Riyad-Amman-Le Caire-Tel-Aviv. Ce cessez-le-feu empêche les seuls tirs militaires ou politiques sur Israël. Il l'intensifie sur la résistance palestinienne abusivement et volontairement réduite au seul Hamas. Mais connaissez-vous à Israël et ses créateurs occidentaux une autre conduite que celle de la mauvaise foi ?
Deux jours plus tard, au sommet du Koweït, le président égyptien déclenche une véritable offensive contre le Hamas et contre les illusions des chefs d'Etat arabes tentés de se détacher de la politique de l'axe anti-iranien. Pas un mot sur les victimes, pas un mot sur la résistance. Amr Moussa ira de son couplet, le même. L'Arabie saoudite offre un milliard de dollars. Les autres pays y contribuent moins mais la règle est claire. L'argent doit aller à Mahmoud Abbas. Le message est clair à moins que l'on soit définitivement idiot. Avec le Hamas, les Ghazaouis ont eu les bombes. Avec Abbas, c'est-à-dire avec l'axe, les Ghazaouis auront l'argent. Après le bâton, c'est la carotte. Personne ne s'est posé la question s'il revenait aux Arabes de payer les dégâts causés par Israël. Le sens minimum de la justice aurait été de faire payer Israël et ses sponsors. Pas du tout. Les pays du Golfe payeront comme ils ont payé pour la première et pour la deuxième guerre du Golfe. Maintenant, ils payent pour Israël directement, ouvertement. Sans même une condamnation claire de ses crimes de guerre et de ses crimes contre l'humanité, pourtant dénoncés dans le monde entier. De larges secteurs de l'opinion publique algérienne ont exprimé leur étonnement. Non seulement l'unité arabe n'a été le souci d'aucun de ces pays de l'axe. Ils ont torpillé ouvertement, y compris par les mensonges de Amr Moussa, la réunion de Doha. Ils sont passés à l'offensive au sommet du Koweït avec un message d'une clarté lumineuse. Ils ont dit aux Palestiniens qu'ils ne recevraient aucune sorte d'aide tant qu'ils ne s'unissent pas, c'est-à-dire tant qu'ils ne s'alignent pas derrière M. Abbas et sa politique de reddition. Il n'est plus question de cette notion de résistance. Rien ! H. Moubarak a brutalement et cyniquement signifié que l'axe s'opposerait à tout régime arabe récalcitrant. L'aspiration des peuples arabes à l'unité pour leur indépendance est enterrée sur l'autel des intérêts des oligarchies au pouvoir en Egypte et en Arabie saoudite. Les intérêts de classe contre les intérêts nationaux ! Voilà le résultat inéluctable de l'infitah.
Mais pendant que les pays européens et leurs amis de l'axe continuent de tirer sur la résistance palestinienne, de Grèce arrive une information énorme. Un navire transportant trois mille tonnes d'armement doit transiter par un port grec. Les forces progressistes grecs organisent la riposte immédiatement : aucun navire d'armes pour Israël ne doit transiter par un port grec. Le gouvernement grec dément mais l'information est déjà sur le Net puisque les médias lourds refusent de la répercuter. Le navire existe bel et bien. Trois mille tonnes d'armement pour Israël quand on organise un blocus international contre les kalachs de la résistance ! Ces armements américains, en réalité des munitions et des bombes, vont transiter par le canal de Suez. Voilà l'image saisissante de cette fin de guerre d'extermination sur Ghaza. Une Europe au secours de sa colonie. Encore plus d'armes pour l'Etat expansionniste et colonial. Encore plus de pression et de surveillance sur la résistance. Et une guerre d'extermination qui passe comme un timbre à la poste euro-américaine et de ses subalternes arabes. Pas un mot sur l'Etat palestinien indépendant à Charm El Cheikh ni sans le discours de Moubarak au Koweït. La sécurité d'Israël, le désarmement de Hamas et l'appui à Abbas étaient les seules préoccupations.
Contre Ghaza, les deux guerres continuent. Celle des armes et celle des mots. L'armée de terre israélienne a tué deux Palestiniens et la marine a bombardé le littoral. Celle des mots doit réaliser le désarmement moral de la résistance.
Cette fin d'un épisode des innombrables agressions israéliennes relance l'analyse de ses buts réels et des acteurs en présence sur le devant de la scène ou dans les coulisses. Deux seuls faits tangibles, indiscutables. Israël préparait depuis longtemps cette agression. Il n'a pas reproduit Ghaza dans le désert du Néguev pour inviter Hollywood. Au passage, les images que nous avons vues indiquaient clairement que l'armée israélienne préparait ses soldats à «nettoyer» les maisons, phase qu'elle n'a pu réaliser et qui doit avoir son sens sur la réalité de la résistance qui lui a été opposée. Le deuxième fait indubitable pour tous les observateurs et l'opinion mondiale est que cette agression fut une guerre de terreur dirigée intentionnellement contre la population civile. Les dirigeants israéliens et
occidentaux avaient déjà énoncé que les Palestiniens devaient «comprendre» qu'ils avaient fait le mauvais choix en votant Hamas. Et la punition collective était le moyen le plus court et le plus simple pour ce type de «pédagogie». Le massacre était donc programmé comme massacre et non comme «nécessité». Les puissances occidentales étaient au courant. Les pays arabes de l'axe aussi.
Quand les journalistes se posent la question de savoir si Israël est sorti victorieux de cette agression, il faut désormais distinguer entre les objectifs proclamés et les buts réellement poursuivis. Israël a échoué à détruire la résistance. Mais quand il déclare avoir reconquis sa force de dissuasion ou la crédibilité de la dissuasion, il faut le comprendre en deux sens. Contre la résistance organisée, l'armée d'Israël ne peut pas grand-chose. Mais contre les peuples oui. A mon avis, il faut comprendre la dissuasion israélienne comme étant une menace contre les populations elles-mêmes. «Si vous tentez de redresser l'échine, voilà ce qui vous attend.» Je pense que ce message était tout aussi important que le reste des objectifs.
Le soutien sans réserve des régimes saoudien et égyptien est celui des pouvoirs oligarchiques décidés à museler toute révolution portée par la crise actuelle. C'est que le grand capital est bien obligé de prévenir les révoltes. Quelques indices permettent de le deviner. Pendant les émeutes d'Athènes, la radio algérienne avait donné la parole à un expert. Un de ces innombrables experts appointés. Il a curieusement profité de ce passage pour attaquer l'extrême gauche tout en regrettant le manque de savoir réprimer en douce de la police grecque pour terminer par l'idée qu'il était temps de mettre hors la loi l'extrême gauche assimilable dans le creux de ses propos au terrorisme. Ces «experts» redoutent donc la «récupération par l'extrême gauche du malaise social inévitable à la suite de la crise». Essayez-vous à un test : remplacez police grecque par armée israélienne, extrême gauche par résistance palestinienne et je suis sûr que vous retrouvez la même structure de sens. On reproche à l'un un mauvais usage de la force ou un usage excessif pour mieux enfoncer l'autre dans la culpabilité de l'extrémisme. C'est que la crise va agir aussi bien dans les pays arabes que dans les pays de l'Occident. A mon avis, l'Union européenne, les Etats-Unis, les pays arabes de l'axe ont demandé à Israël de déclencher une guerre contre-révolutionnaire préventive. Avec ce message aux peuples : vous bougez, on vous brûle. Ce n'est pas le seul aspect bien sûr. Toutes les autres analyses restent valables. Il me semble seulement que cet aspect nous a échappé. Les réactions latino-américaines ont attiré mon attention. Pas celle de Chavez, pas celle de Morales. Celle du Brésil. Ces pays savent bien le rôle contre-révolutionnaire joué par Israël dans le sous-continent, l'aide apportée aux oligarques de Colombie. Pour les révolutionnaires latinos, il est indiscutable qu'Israël est chargé d'un rôle contre-révolutionnaire mondial de la Géorgie à la Colombie. Mais la position du Brésil est la plus intéressante car la bourgeoisie brésilienne va devoir affronter les plans euro-américains qui vont lui faire payer la crise comme à l'Inde et à la Chine. La convergence avec toutes les forces de résistance à l'hégémonie euro-américaine devient vitale pour les révoltions latinos. Voilà à mon avis le secret des positions latinos.
La lutte devient mondiale et son centre immédiat va être le Moyen-Orient et les pays riverains de la Caspienne. Ni Israël ni les Euro-Américains n'ont réussi tout à fait leurs plans. L'opinion mondiale s'est réveillée au caractère nazi d'Israël. Elle se réveille à la connivence de leurs Etats avec ce nazisme. Dans l'extrême gauche et chez les partis communistes conséquents, comme ceux de Grèce, la conscience est vive que la crise va pousser les régimes capitalistes à des dérives autoritaires, voire fascistes. Les cercles et les milieux progressistes ou tout simplement réellement humanistes réalisent de plus en plus le rôle d'Israël dans les plans de la domination du monde élaborés par les Euro-Américains au profit du grand capital. La catastrophe pour l'Union européenne et pour les Etats-Unis serait une jonction entre les luttes d'émancipation sociale de leurs propres peuples avec les luttes de libération nationale dans le monde arabe et en Amérique latine. La contre-révolution mondiale qu'Obama doit diriger avec d'autres formes que Bush craint plus que tout un front mondial de la résistance et de la contre-offensive. Le Liban et Ghaza ont prouvé une chose : la résistance populaire avec des instruments et des organisations populaires est imbattable quels que soient les moyens mis en œuvre, quels que soient les sacrifices. C'est contre elle qu'Israël a voulu montrer sa dissuasion en agissant pour l'impérialisme et ses sous-produits régionaux. C'est contre elle que les projets euro-américains vont se briser. Tôt ou tard.
Oui, à Ghaza, s'est bien déroulée une séquence de la lutte des classes et de la lutte des peuples à l'échelle mondiale. Les Ghazaouis ne sont pas morts seulement pour leur terre. Ils sont morts pour les droits de tous les autres peuples.
M. B.


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