Les dispositions essentielles suscitent plusieurs remarques Après 13 jours de carnages et de destructions, le Conseil de sécurité a adopté, le jeudi 8 janvier, la résolution 1860, par 14 voix sur 15. L'abstention des Etats-Unis rompt avec la position de l'administration américaine consistant à rejeter tout texte contraignant pour Israël, mais pas avec son alignement et son soutien inconditionnels à son allié stratégique. Condoleezza Rice a déclaré, à l'issue du vote, que «les Etats-Unis estimaient important de connaître d'abord les résultats des efforts égyptiens de médiation afin de voir ce que cette résolution prévoit de soutenir». Le vote et les explications américains véhiculent plusieurs messages dont, essentiellement: pas de pression des Etats-Unis sur Israël; confortement du rôle de médiateur de l'Egypte, le sous-traitant fidèle et dévoué de la politique américaine dans la région. Washington garde ainsi toutes les cartes en main; il se ménage le temps de voir venir les choses et donne à Israël des possibilités de manoeuvres pour réaliser ses objectifs. En effet, la résolution 1860 ne règle rien, elle ne fait que fixer des objectifs; il appartient désormais aux deux parties en conflit de négocier les termes d'un cessez-le-feu «durable et totalement respecté», selon les termes du texte du Conseil de sécurité. Ces négociations ont déjà commencé sous l'égide de l'Egypte et rien ne permet, pour le moment, d'être optimiste sur leur issue. Les dispositions essentielles de la résolution du Conseil de sécurité, qui ne prévoit aucune mesure de rétorsion, suscitent plusieurs remarques: - L'appel à «un cessez-le-feu immédiat, durable et pleinement respecté, menant au retrait complet des forces israéliennes de Ghaza» implique que le retrait de l'agresseur est soumis à la réunion de conditions qui passent par un accord entre Hamas et Israël sous médiation de l'Egypte dont les efforts sont salués par le Conseil de sécurité. Il s'agit principalement d'empêcher «la contrebande» d'armes (demande israélienne) et «assurer la réouverture des points de passage» (demande de Hamas). - «Condamnation de toute violence et hostilité dirigées contre les civils et tout acte de terrorisme»: les tirs de roquettes de Hamas (implicitement mentionnés) et les bombardements aveugles, meurtriers et destructeurs de l'armée israélienne sont mis sur un pied d'égalité..! - «Encourager des mesures tangibles vers une réconciliation interpalestinienne»: cette disposition de la résolution est un voeu dans la mesure où il est demandé à Hamas de signer son arrêt de mort en acceptant le retour de l'Autorité palestinienne à Ghaza et des négociations de paix avec Israël. Contrairement à ce qu'on serait tenté de penser, Hamas est devenu attractif pour beaucoup de Palestiniens qui se reconnaissent dans son radicalisme parce que Mahmoud Abbas (Fatah), qui a bâti sa réputation politique et sa légitimité même sur les négociations qu'il mène avec Israël, n'a réalisé aucune percée dans les négociations avec Israël qui poursuit sa politique de colonisation, la judaïsation de Jérusalem, la construction de colonies, les assassinats ciblés, les reniements des accords signés, les violations flagrantes, répétées et impunies de la légalité internationale, tout en essayant d'occulter le péché originel qui est l'occupation des territoires palestiniens, laquelle est au coeur des violences qui ravagent le Moyen-Orient. Le dernier fiasco de Abbas, dont le mandat expire ce 09 janvier, a été l'échec du plan Bush lancé en novembre dernier et aussitôt tombé comme un soufflet mal cuisiné. Au 14e jour de l'opération «Plomb durci», l'armée israélienne n'a pas réalisé son objectif principal: faire cesser les tirs de roquettes de Hamas. Quant à la cessation de la contrebande d'armes à partir de la frontière entre Ghaza et l'Egypte, elle est tributaire d'un accord qui reste encore hypothétique. Or, l'issue rapide de l'opération «Plomb durci» revêt une importance capitale pour la coalition au pouvoir en Israël. Les élections israéliennes qui auront lieu le 10 février prochain, mettent en compétition trois acteurs: Ehud Barak du Parti travailliste, ministre de la Défense; Tzipi Livni du parti Kadima, ministre des Affaires étrangères; Benyamin Netanyahu du Likoud (consolidation en hébreu). Ce parti milite pour le grand Israël incluant la Cisjordanie (Judée Samarie pour les Israéliens) et la bande de Ghaza. (Dans ce cas, peut-on reprocher à Hamas sa charte?). A la veille de l'attaque du samedi 27 décembre, les sondages étaient favorables à Netanyahu. Pour rappel, ce dernier était contre l'évacuation de Ghaza, en 2005, et est un féroce critique du gouvernement de coalition actuel. Depuis le début de l'opération contre Ghaza, Ehud Barak revient dans les sondages... L'opération «Plomb durci» a été rendue possible en raison de la conjonction des intérêts des politiciens israéliens qui sont passés maîtres dans l'instrumentalisation du conflit arabo-israélien à des fins de politique interne, et de ceux de l'armée qui cherchait une opportunité pour guérir le traumatisme de 2006 (confrontation de trente quatre jours avec Hizbollah). Elle avait perdu sa réputation d'invulnérabilité et donc son pouvoir de dissuasion, qui est sa meilleure carte de visite. Donc Ehud Barak et Tzipi Livni aussi bien que les chefs de l'armée ont besoin d'une victoire «éclatante» et rapide à Ghaza, pour des raisons électorales et pour restaurer le pouvoir de dissuasion de l'armée. En face, Hamas joue sa survie politique. Il avait été mis dans l'obligation de ne pas renouveler la trêve de six mois par refus du blocus. Après cette confrontation sanglante, il doit obtenir la levée du blocus et l'ouverture des points de passage, essentiellement Rafah.(Le traité de Rafah a été signé en 2005, entre l'Autorité palestinienne et Israël, sous la médiation de l'Egypte et de l'Union européenne. Après le retrait des observateurs de l'Union européenne, à la suite de la prise du pouvoir par Hamas à Ghaza, l'Egypte a fermé le passage de Rafah et en a fait un moyen de pression sur Hamas pour l'obliger à accepter le retour de l'Autorité palestinienne. L'Egypte a ainsi participé au blocus de Ghaza). Hamas demande également l'arrêt de l'agression et le retrait de l'armée israélienne. Lors des négociations en cours en Egypte, il visera à refuser le retour de l'Autorité palestinienne à Ghaza (il serait contre-productif pour Mahmoud Abbas de revenir dans la foulée des chars israéliens) et la présence d'une force internationale qui signifieraient sinon sa disparition, son étouffement et sa marginalisation. Les conséquences de l'issue de l'opération «Plomb durci» dépassent le cadre palestinien. Elles concernent, entre autres: - La lutte politique en cours en Israël et l'image de l'armée israélienne qui cherche à récupérer son pouvoir de dissuasion perdu dans une guerre asymétrique menée contre un acteur non étatique (Hizbollah); - La lutte politique entre Hamas et Fatah et, partant, la voie que suivra la résistance palestinienne: poursuite du combat ou la négociation. L'attitude de la population palestinienne envers Hamas sera déterminante; - L'avenir du rôle de médiateur de l'Egypte qui, s'il prenait fin, signifierait aussi la fin du régime actuel; - L'avenir du rapport de force au sein du monde arabe où les pays modérés occupent tout l'espace (le rôle joué par la Turquie est à la mesure du vide laissé par les Arabes dont les intérêts régionaux sont de plus en plus pris en charge par des Etats extrarégionaux. Ce vide s'explique par les divisions des dirigeants arabes et du divorce qui existe entre ces derniers et leurs peuples). Les prochains jours jetteront plus de lumière sur la suite des événements. La réalisation des objectifs de la résolution 1860 risque de passer par d'autres carnages et d'autres destructions. (*) ancien ambassadeur