Par principe, toute avancée est bonne à prendre. Surtout quand il s'agit de plus de droits et de plus de libertés. Encore plus quand il est question de la protection des femmes et des enfants. Encore mieux lorsque le sujet a trait aux violences subies. Dans le cas présent, la bonne nouvelle, c'est le renforcement du faible arsenal juridique en matière de répression des violences à l'encontre des femmes. Le projet d'amendement du Code pénal prévoit en effet de criminaliser la violence contre les femmes, dans la relation conjugale ou hors cadre du mariage. Il était temps, cinquante-deux ans après l'Indépendance ! Et, dirions-nous, il n'est jamais trop tard pour bien faire dans un pays où les pesanteurs sociales et la tradition, dans la réalité des faits, pèsent plus que le droit. Mais, aussi réjouissante qu'elle soit, cette avancée réelle porte en elle un vice rédhibitoire, celui de la main gauche qui retire les bienfaits de la main droite. Le projet de loi comporte, à vrai dire, une clause scélérate. Une disposition vicieuse qui absout le crime de violence «quand la femme pardonne à son agresseur» ! Scélérate, cette condition l'est certainement car la scélératesse est synonyme de malignité, de perfidie, d'infamie, de trahison, d'abomination et d'injustice. La rosserie de cet arrangement est d'autant plus évidente que cette clause de pardon n'est même pas une clause compromissoire. C'est, assurément, une conditionnalité abusive, léonine. Car elle responsabilise plus la victime invitée ainsi à réfléchir aux conséquences de sa plainte. Et elle favorise justement son pardon dans une société où la pression sociale est telle que la victime serait amenée, le plus souvent, à absoudre son bourreau. Ceux qui ont élaboré le projet de loi semblent avoir agi hors temps, hors sol et hors contexte. Une loi, c'est évident, se conçoit et s'élabore en prenant en considération les aspects sociologiques, économiques et psychologiques de la population. Or, on sait pertinemment que les femmes, victimes d'actes de violence dans une société où les rapports sociaux sont violents et basés le plus souvent sur le rapport de force et la survalorisation de la place de l'homme dans la société et dans la famille, portent rarement plainte. Dans la plupart des cas, elles ne déposent pas plainte de peur de se faire éjecter du domicile familial et parce qu'elles ne peuvent pas subvenir à leurs besoins, une fois seules. Selon des statistiques fiables, seules 17% des femmes ont des revenus réguliers qui leur permettraient, le cas échéant, de se prendre en charge financièrement. C'est ainsi que le législateur condamnait déjà les femmes sans ressources et sans autonomie financière à souffrir en silence et à ne pas penser à se plaindre aux juges. La loi, parfaitement imparfaite de ce point de vue, tient peu compte des facteurs de menace, d'intimidation et de chantage dont les femmes sont l'objet permanent au sein de la famille et dans la société. Cette clause infâme et finalement peu protectrice des femmes battues alors même qu'elle se propose de mieux les défendre, aurait même, si elle était appliquée en l'état, un effet contreproductif. Elle favoriserait un surcroit de violence, notamment la récidive, sachant que le pardon des victimes absoudrait in fine le crime de violence. Or, nul n'ignore que les conditions sociales et le contexte psychologique du couple et de la famille dans le contexte plus global de la société, inciteraient le plus souvent les femmes à pardonner après la plainte. Les mêmes facteurs qui l'incitent à ne pas porter plainte, pousseraient la victime à pardonner après coup ! Dans cette affaire, c'est toujours le serpent qui se mord la queue ! Toutes les associations de lutte contre la violence faite aux femmes et qui sont à leur écoute permanente, disent qu'elles ont peur et subissent des pressions incoercibles. Et que la grande majorité retire la plainte, redoutant de se retrouver à la rue avec les enfants, même en sachant qu'en cas de divorce en bonne et due forme, le logement familial reviendrait à la femme qui a la garde de la progéniture. Cette clause perfide et injuste, qui efface, après coup, la responsabilité délictuelle de l'auteur des violences, ne doit pas être maintenue. Et, il faudrait, même en cas de pardon de la victime, que la Justice maintienne elle-même la plainte. La Justice doit donc rester le premier et l'ultime responsable de la protection de l'intégrité des personnes, a fortiori des individus fragiles, encore plus des femmes violentées. C'est évident, la miséricorde ne doit pas surpasser la justice. Et, il ne faudrait pas, comme le disait Blaise Pascal, que ne pouvant pas fortifier la justice, on justifie alors la force, dans ce cas, la violence conjugale. Nos législateurs et nos juges doivent finalement écouter Confucius lorsqu'il dit «Rendez le bien pour le bien et la justice pour le mal». En attendant, pour une meilleure protection, les femmes battues doivent se faire encore violence ! N. K.