Une injure, des intimidations, le viol. Face à un code pénal jugé permissif, la femme est devenue la cible privilégiée des violences en Algérie. Près de 12 000 Algériennes osent s'en plaindre chaque année. Beaucoup d'autres en souffrent en silence. Le projet de loi pour renforcer la lutte contre les violences faite aux femmes, adopté en Conseil des ministres, mardi, introduit quelques amendements «coercitifs» mais ne permet toujours pas de couper le mal à la racine. Coups, brimades, viols… Dans 60% des cas, elles subissent la violence dans le cercle familial. Le projet de loi portant amendement du code pénal pour renforcer la lutte contre la violence à l'égard des femmes, examiné et adopté mardi par le Conseil des ministres, prévoit des sanctions envers l'époux coupable de violence, d'abandon, ou d'intimidations visant à priver l'épouse de ses biens. Ce qui peut constituer une belle avancée. Mais, le texte prévoit, toutefois, que «dans toutes les situations évoquées ci-dessus, les poursuites sont abandonnées, si la victime décide de pardonner à son conjoint». C'est justement là que le bât blesse. Des membres du mouvement associatif dénoncent une clause «dangereuse», voire «vicieuse», qui banalise la violence conjugale et ne protège pas la femme contre toutes les pressions sociales et familiales qui l'empêchent souvent de porter plainte contre son mari. «Ce projet de loi est un acquis, une avancée sur laquelle nous n'aimerions pas rechigner, mais cette clause pose un sérieux problème», explique Nouria Hafsi, secrétaire générale de l'Union des femmes algériennes (UNFA). «Déjà que la femme ne dépose pas plainte facilement contre son époux, elle attend que les violences atteignent leur paroxysme pour oser se plaindre par peur des représailles de la famille et du regard des gens dans la société. Cette clause vient encourager la femme à pardonner alors que ça devrait être le contraire», ajoute-t-elle. Pour cette dernière, «si l'on veut réellement stopper les violences conjugales, la justice doit maintenir les poursuites même lorsque la femme pardonne». Elle est loin d'être la seule à le penser. La justice ne doit pas pardonner ! Dans le domaine associatif, où les militantes sont quotidiennement confrontées à des femmes en situation de détresse, cette clause pose un problème de fond. La pression sociale qui normalise souvent la violence conjugale se trouve confortée par ce texte. «Le principe même du pardon en cas de violence conjugale me dérange», tranche Cherifa Kheddar, présidente de l'association Djazairouna et porte-parole de l'Observatoire des violences faites aux femmes (OVIF). «Je trouve cette clause vicieuse, c'est comme si on faisait un clin d'œil aux institutions de l'Etat pour leur dire de pousser les femmes à pardonner», dit-elle. Elle note une avancée à travers l'adoption de ce projet de loi, mais ne manque pas de rappeler qu'il faut plus. «Le fait que la violence à l'égard des femmes soit devenue un débat public pris en charge par le gouvernement est une très bonne chose, mais il faut aller vers une loi-cadre pour lutter efficacement contre ce problème», explique-t-elle encore. L'adoption d'un arsenal juridique qui puisse protéger la victime et l'accompagner dans toutes ses démarches constitue la véritable attente de ces militantes. Mais pas seulement. Il y a également la question de l'application de toutes les mesures adoptées. «Si cette loi est adoptée par le Parlement, il faut ensuite penser à des mesures d'application concrètes d'accès à la justice» note, pour sa part, Dalila Djerbal, membre du réseau Wassila de lutte contre la violence faite aux femmes et aux enfants. Pour elle, ce n'est pas qu'une affaire de loi. «Toutes les institutions de l'Etat doivent jouer le jeu pour que ces lois ne restent pas lettre morte», plaide-t-elle en citant de nombreux témoignages de femmes battues par leur mari et dissuadées de porter plainte dans des commissariats ou de se présenter dans les bureaux des médecins légistes. Un constat partagé par Cherifa Kheddar, qui condamne le fait que «la violence conjugale soit acceptée dans notre société». Pour Nouria Hafsi, secrétaire générale de l'UNFA, l'école joue un rôle primordial puisque c'est aussi «une question de culture». Peut-être, est-ce le seul espace où l'on peut traiter le mal à la racine.