Jeudi prochain sera le jour J pour l'Ecosse qui se prononcera sur son devenir avec le référendum d'indépendance. Et rien n'est joué. Indépendantistes et unionistes sont au coude-à-coude dans les sondages où les indécis (alentour de 10%), que les deux camps draguent, seront le balancier qui déterminera le vainqueur. Le camp du Non se dit crédité d'une courte avancée par la majorité des sondages, mais un dernier sondage l'a ébranlé, dimanche dernier, et Londres a bien sentie l'onde de choc. «Pour la première fois, le Oui à l'indépendance est en tête en Ecosse. D'une courte tête, mais quand même. D'autant que contrairement aux idées reçues, ce qui importe dans un sondage n'est pas la photographie à un instant «T», mais la dynamique. Pour le coup, ce n'est plus une dynamique, c'est un ouragan : +21 points en un mois!», commentait, vendredi dernier, Olivier Ravanello sur son blog Le Monde selon Ravanello. Le jeu étant très serré, les deux camps multiplient les sorties et poursuivent leurs campagnes de ralliement. Le Premier ministre britannique, David Cameron, a ainsi choisi le port pétrolier écossais d'Aberdeen où il a lancé, hier, un dernier appel, passionné, pour la préservation du Royaume-Uni de l'éclatement qui le menace. Alternant suppliques et menaces, Cameron essaye de faire triompher le Non par tous les moyens. Après avoir confié, la semaine dernière, que l'indépendance de l'Ecosse détruirait le fondement de la Grande-Bretagne dont le drapeau, l'union Jack, est constitué par l'assemblage des croix anglaise, écossaise et irlandaise, lui «briserait le cœur», il reviendra avec une menace à peine voilée en soulignant le caractère irréversible d'un «Oui pour l'indépendance». Son ministre des Finances, George Osborne, avait déjà ouvert la voie, non plus avec une menace, mais une promesse : «C'est à prendre ou à laisser. Si vous sortez du Royaume-Uni, plus question d'utiliser la Livre», dira-t-il à l'adresse des indépendantistes qui, sans s'émouvoir, répondent : «Pourquoi pas l'euro ?» Le camp du Non s'appuie également sur des figures et personnalités médiatiques tel l'ancien capitaine de l'équipe nationale de football, David Beckham, qui a appelé, hier, les Ecossais à voter Non. «Ce qui nous unit est beaucoup plus important que ce qui nous divise. Restons ensemble», a-t-il écrit dans une lettre ouverte rendue publique par la campagne «Better Together» (Mieux ensemble). Même la reine Elizabeth II, qui est tenue par une obligation d'impartialité (le référendum d'indépendance est un droit consacré), s'efforcera d'avantager le Non sans pour autant tordre le cou à ses obligations : les Ecossais devaient «soigneusement réfléchir à l'avenir» dira-t-elle lors d'un bref bain de foules à l'issue d'un service religieux près de son château de Balmoral. Mais ces pressions et appels n'entament en rien la volonté ni la foi des indépendantistes, à leur tête le Premier ministre écossais, Alex Salmond, qui ne rate aucune occasion pour parler des atouts, aussi bien économiques que politiques, de l'Ecosse et expliquer les opportunités qu'offrira l'indépendance. Comme le camp du Non, les indépendantistes bénéficient aussi d'un soutien fort appréciable : un prix Nobel d'économie. Joseph Stiglitz a, en effet, estimé qu'il y avait «peu de fondement à l'alarmisme» exprimé vis-à-vis de l'avenir économique d'une Ecosse indépendante qui a, pour 5 millions d'habitants, les gisements de pétrole et le gaz de la mer du Nord (98% des hydrocarbures produits en Grande-Bretagne sont écossais), lesquels pourront assurer 90% des rentrées budgétaires du futur Etat écossais. Les 10% restant peuvent être aisément garantis par le tourisme, l'agriculture et la petite industrie, le whisky notamment. Et aux appréhensions menaçantes que brandissent des entreprises et des banques tels le grand magasin John Lewis, la chaîne de supermarchés Asda, la Deutsche Bank et la British Petroleum (BP), sur l'impact néfaste sur une Ecosse indépendante, le vice-président du Parti nationaliste écossais (SNP), Jim Sillars, répond par des menaces directes : «Avec ce référendum, il est question de pouvoir. Par conséquent, lorsque nous aurons une majorité de Oui, nous nous en servirons pour réclamer des comptes à BP et aux banques. BP, dans une Ecosse indépendante, devra apprendre la signification du mot nationalisation, partielle ou totale.» Evidemment, l'Union européenne (UE) voit d'un mauvais œil ce vent indépendantiste qui souffle sur l'Ecosse, mais risque aussi d'atteindre d'autres régions. L'effet tâche d'huile peut réveiller et/ou encourager les velléités d'indépendance des Catalans et des Basques en Espagne, des Corses en France, des Lombardes de la Ligue et des Italiens du Nord, des Flamands en Belgique, des pays Baltes... Embourbée déjà dans des problèmes de croissance qui refuse de décoller et de chômage qui refuse de baisser, l'UE n'a vraiment pas besoin d'y rajouter des montées de courants autonomistes et/ou indépendantistes. Aussi, les dirigeants européens n'hésitent-ils pas à soutenir les partisans du Non, en menaçant les indépendantistes d'un rejet de l'UE. Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, n'a pas mâché ses mots en affirmant qu'il serait «extrêmement difficile, voire impossible», pour une Ecosse indépendante de rejoindre l'UE. «Il sera bien sûr très difficile d'obtenir l'accord de tous les autres Etats membres de l'UE pour accepter un nouveau pays venant d'un autre Etat membre», avait-il déclaré. Pour soutenir son propos, le président de la Commission européenne a cité l'exemple de l'Espagne qui a refusé de reconnaître le Kosovo. «C'est d'une certaine façon une situation similaire, car il s'agit d'un pays nouveau», avait-il argué. Mais les indépendantistes écossais répliqueront que le M. Barroso se fourvoyait et entretenait la confusion, car, il devait savoir qu'à la différence de la déclaration d'indépendance du Kosovo qui était unilatérale et contestée par la Serbie, le référendum pour l'indépendance de l'Ecosse est, lui, consenti par Londres. Avant M. Barroso, le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, interrogé sur la Catalogne, avait répondu, en 2013 déjà, qu'«un nouvel Etat indépendant deviendrait, du fait de son indépendance, un Etat extérieur à l'Union européenne» et qu'il devra donc, s'il entend faire partie de l'UE, se soumettre à ses procédures d'adhésion. Mais «dans tous les cas, cela serait soumis à ratification par tous les Etats membres», avait-il précisé, manière de dire à toutes les régions qui envisageraient de demander leur indépendance ou leur autonomie qu'elles risquent de s'en mordre les doigts. En assombrissant les perspectives, l'UE compte refroidir les ardeurs indépendantistes et autonomistes. Réussira-t-elle ? Rien n'est moins sur. Car les régions qui réclament leurs indépendances sont, pour la majorité, riches et, de plus en plus, leurs opinions publiques, et même leurs dirigeants, disent qu'ils ne veulent plus payer pour les autres. Et l'Ecosse leur montre la voie. «La Catalogne réclame aussi un référendum, refusé pour l'instant par les autorités centrales. Mais à Barcelone, on regardera de près ce qui se passera en Ecosse au soir du 18. Si le Oui l'emporte, Londres et Edimbourg entreront dans une longue négociation pour fixer leurs nouvelles relations avec une date d'indépendance envisagée au printemps 2016. De quoi réveiller Marie Stuart et faire souffler un vent indépendantiste en Europe...», écrit Olivier Ravanello. Rob Wood, un économiste de la banque allemande Berenberg, va plus loin et a estimé, hier, qu'une Ecosse indépendante pourrait accélérer la dislocation du Royaume-Uni. Le référendum écossais suscite le débat sur l'indépendance du Pays de Galles où les nationalistes soutiennent avec force les indépendantistes écossais. «C'est une excellente occasion de décentraliser le pouvoir de Londres et du Sud-est et d'ouvrir le débat. Après le vote du "Oui" en Ecosse la semaine prochaine, le Pays de Galles sera en condition d'obtenir un accord dont nous avons désespérément besoin et que nous méritons», a déclaré, hier, le chef du parti nationaliste gallois Plaid Cymru, Leanne Wood. Et même si le Oui est mis en minorité, ça ne serait pas une défaite totale. Car «un vote en faveur du Non laisserait également bon nombre de questions inquiétantes en suspens. Par exemple, une victoire serrée du Non signifierait le maintien d'une incertitude sur l'éventualité d'un second référendum dans les prochaines années», soutient Rob Wood. Autrement dit, avec une défaite qui talonne la victoire, les indépendantistes auront fiché un coin et pourront revenir dans un proche avenir élargir la brèche. Ils n'auront pas gagné cette fois-ci, mais ils auront enclenché une dynamique qui pourra aboutir, pas seulement en Ecosse. H. G./agences