L'écriture de l'histoire de l'Algérie, ou plutôt de la réécriture et la correction des faits historiques et de l'histoire du mouvement nationaliste de la fin du 19e siècle à 1962, est une question récurrente. Elle refait surface et suscite un débat à chaque célébration d'une date historique, avec comme problématique, exprimée de manière sibylline ou ouvertement, l'objectivité et l'intégrité des écrits et des études. Le 60e anniversaire du 1er Novembre, jour du déclenchement de la lutte armée, n'a pas fait exception. On note toutefois un changement radical dans l'attitude des responsables qui ne s'opposent plus à la vérité et de certains acteurs qui osent dire la leur, même s'ils savent qu'elle pourrait provoquer des polémiques, peut-être une levée de boucliers, voire des réactions s'exprimant par d'autres témoignages contradictoires - c'est autant de matière première pour l'historien. Ainsi, le secrétaire général de l'Organisation nationale des moudjahidine (ONM), Saïd Abadou, a non seulement reconnu que «l'histoire de la Révolution n'a pas encore été écrite dans son intégralité», mais il a expressément signifié que cette écriture relève exclusivement de la responsabilité des chercheurs et des historiens qui, à ce titre, «sont appelés à s'acquitter de cette tâche de manière objective pour transmettre les faits tels qu'ils s'étaient déroulés aux générations futures». Une telle déclaration tranche clairement avec la position adoptée par les autorités algériennes jusqu'à ces dernières années dès qu'il s'agissait de l'histoire de la Guerre de libération. L'historien Mahfoud Khadache l'avait révélée, avant son décès en juin 2006, en disant tout haut ce que tout le monde suspectait, pensait et disait tout bas : «Houari Boumediene nous avait réunis, en tant qu'historiens, un certain jour autour d'un très bon repas. Il nous a exposé alors sa conception quant à l'écriture convenable de l'histoire contemporaine de l'Algérie. Il passa, subtilement mais rapidement, du souhait à l'ordre intimé de nous voir écrire cette histoire en l'arrangeant. Cet arrangement devait, selon lui, s'opérer de telle sorte que l'écriture de l'histoire algérienne ne puisse pas exposer des noms de personnes impliquées, ni favoriser la contestation de certains acteurs vivants ou de leurs proches, ni engendrer des troubles de l'ordre public.» «Ainsi, il nous invitait ou plutôt nous ordonnait en définitive, d'abandonner la rigueur de l'objectivité scientifique en matière de recherche historique, et d'essayer d'embellir sélectivement la vérité, au risque de la tuer, dans nos écrits sur l'histoire de notre peuple et de sa révolution.» Aujourd'hui, l'historien a donc les coudées franches et n'a plus à slalomer entre l'obligation de l'objectivité scientifique et les exigences politiques, arrondir les coins, passer sous silence des faits ou accommoder la vérité historique. Mais ce n'est pas pour autant qu'on puisse dire qu'il a la tâche facile. Le premier écueil qu'il rencontre est l'accès aux sources archivistiques, surtout celles se trouvant en France ou dans d'autres pays. Le professeur et chercheur en histoire à l'université d'Oran, Rabah Lounici, cité par l'APS, dira à ce propos que «plusieurs recherches sur la résistance populaire, le mouvement nationaliste et la révolution algérienne existent mais restent insuffisantes, car la plupart des documents sont restés en France». Le chercheur Amar Mohand Ameur renchérit en indiquant que «l'archive est une question épineuse et n'a pas été réglée à ce jour. Sans archives, il n'y aura pas de progression dans l'écriture de l'histoire ou dans la recherche sur l'histoire de la révolution algérienne. Et sans documents officiels, un chercheur ne peut présenter une recherche académique scientifique digne de ce nom». Pour développer la recherche dans le domaine de l'histoire de la révolution algérienne, «il faut obtenir des copies ou des photos des Archives nationales ou de la France ou même des archives de certains pays amis qui ont soutenu la révolution algérienne, et ce pour la réalisation d'une recherche scientifique objective basée sur des opinions et des avis différents», ajoute le Pr Boukhalfa Nour el-Houda du département d'histoire de l'université d'Oran. De plus, accéder aux archives n'est pas tout. L'historien doit avoir un regard critique sur toute information, procéder à des vérifications, croiser plusieurs sources, car il faut savoir que les Français ont manipulé à dessein de nombreux documents historiques et en ont même produits des faux. Les écrits d'acteurs et témoins de la Guerre de libération sont la deuxième source d'informations de l'historien. M. Abadou a indiqué que des milliers de témoignages sont disponibles au niveau du Centre national de recherches historiques. A ces témoignages s'ajoutent les nombreux écrits et mémoires produits par des anciens moudjahidine et responsables. Mais là aussi, l'historien doit faire preuve d'esprit critique. Un témoignage écrit par une personne ayant pris part à l'événement peut être enjolivé, subjectif, voire élagué de certains faits. Aussi, l'historien ne peut-il se suffire d'un écrit sur un événement ou un fait. Plus il y a de témoignages, plus la vérité historique a des chances de se révéler. Tout ce qui est exigé de l'historien est d'avoir une approche scientifique et de savoir décrypter les documents, autrement dit maîtriser parfaitement la langue française, car la majorité de la documentation se rapportant à cette période est rédigée en français. Et comme on dit, la traduction s'apparente à la description d'une belle femme, elle est à sa faveur ou à celle de l'observateur. H. G.