De tous les produits découverts par l'homme, beaucoup plus que l'or et presque aussi important que l'eau, eh bien, c'est le pétrole qui a permis le développement industriel et technologique du monde occidental. Et c'est cette richesse naturelle, pour dire la vérité, qui a signé la date de naissance des Etats-Unis et qui lui a donné l'occasion de devenir la première puissance du monde. Ce pays possède et exploite les hydrocarbures pour ses besoins propres. Mais il en importe énormément pour densifier et étendre ses activités, à l'intérieur de ses territoires et ailleurs dans le monde. Son intervention directe ou par ricochets sur les économies de la planète, depuis au moins le plan Marshall, l'oblige à prendre en charge des programmes qui ne le laisse pas en panne d'énergie. Et de passer au peigne fin toutes les sources énergétiques à travers le globe, pour voir de quelle manière ils peuvent y accéder. Lorsqu'il s'agit de pays économiquement et militairement non parlants, ils y vont carrément d'un ascendant. Mais quand il est question de nations nouvellement indépendantes et dans le processus duquel ils ont agi du point de vue de la définition géopolitique, comme dans la péninsule arabique, par exemple, les Etats-Unis font presque comme dans le régime du protectorat. Ils s'estiment ne pouvoir faire autrement devant une région qui constitue le plus grand réservoir énergétique de la planète, en pétrole et en gaz. Mais qui constitue aussi, avec l'ensemble du Moyen-Orient, une zone, depuis longtemps, engagée en permanence dans les situations de tension et exposée à des conflits armés. En sus de l'intérêt énergétique incompressible, cette partie du monde possède l'avantage stratégique de relier les continents et de posséder l'héritage physique et moral des trois religions monothéistes, les lieux saints de l'islam, du christianisme et du judaïsme. Mais frontalement aussi une défiance ethnique entre arabes et israélites, qui s'étend jusque sur les territoires de l'Afrique du Nord et une bonne partie des pays subsahariens, sous l'étendue desquels s'étalent les grands gisements du delta du Niger. Et il va sans dire que la mise en valeur du pétrole et du gaz depuis le Golfe arabique jusqu'au Maghreb a mis à rude épreuve les populations autochtones, y résidant depuis des millénaires, obligées de se plier devant les bouleversements induits par la valeur marchande dans le monde de ce produit énergétique. Qui surdétermine le développement industriel et les savoir-faire des pays occidentaux, mais qui bouleverse les habitudes ancestrales chez ceux qui le produisent et l'exportent. Tels les pays arabes, y compris ceux qui ne possèdent pas la manne pétrolière. De sorte que les communautés dans le Moyen-Orient et dans certains pays du Maghreb, la Libye et l'Algérie, en premier lieu, vont se retrouver confrontées à de terribles dysfonctionnements de l'aplomb socio-économique et politique. Par rapport à l'entité propre de chaque pays et par rapport aux autres, aux Etats monarchiques de la Péninsule essentiellement. Le culte comme lubrifiant Le choc pétrolier à l'entame des années soixante-dix, qui se fut traduit par le dépassement par quatre fois du prix du baril, a vu une extraordinaire émergence de richesse financière en Arabie saoudite et dans les Etats monarchiques voisins. Et il va avoir pour conséquence, dans le Monde arabe, un grand chambardement, non seulement dans la vie économique mais culturelle aussi. L'hégémonie civilisationnelle, entre les mains des anciens modèles hérités des temps glorieux de l'Antiquité, de l'Egypte, de la Mésopotamie et de l'Assyrie, ne peut plus résister à celle qui a pris racine dans les nouvelles capitales dans le désert arabique. Et qui ne va pas tarder, par la force du pétrodollar, à détenir de fantastiques moyens d'influence pour agir dans les équilibres essentiels dans le Monde arabe en tant qu'entité de groupes de pays, défini dans un rapport de force dans le monde, mais dans chacun des pays qui constituent ce groupe. Selon qu'il se rapproche ou non de l'idéologie yankee –qui a un droit de regard actif dans les gisements péninsulaires– et il s'aliène aux principes nouveaux des monarchies pétrolières. Des Etats qui ont fait un pas dans la «modernité» d'une manière époustouflante et changé la donne dans les modèles de relations interarabes. Quasiment sans transition, ces pays de la péninsule arabique, si on omet le Yémen, de la plus pure tradition archaïque, dans laquelle l'attribut occidental était presque de l'ordre du blasphème, vont tout doucement, mais sûrement, saisir le contrôle des communautés métropolitaines, gardiennes de la vieille civilisation de la ville. Tant est-il que la transformation dans les gouvernances se réalise à travers les liens dans les relations d'affaires établies dans le sillage des dirigeants monarchiques, qui se soldent par la contrepartie garantissant la pérennité dans la carrière politique, en Egypte, par exemple, au Liban ou au Maroc. Des ressortissants arabes dans les pays qui ne possèdent pas la rente pétrolière, au Moyen-Orient comme au Maghreb, ramassent des richesses considérables dans les relations associatives avec les notables et les familles pétrolières au pouvoir dans la péninsule. Les gigantesques amoncellements financiers dans les pays concernés seront utilisés dans la construction de réseaux d'influences politiques internes, pour manipuler dans la gouvernance ou pour carrément y accéder. Tout en restant fidèles aux dignitaires des pays du Golfe, qui établissent les feuilles de route, beaucoup plus pour leurs convenances, économiques, culturelles et religieuses, que pour celles des populations, cherchant les chemins de la démocratie et la liberté de choisir les modèles qui leur conviennent. Cultuellement et socio-économiquement. La deuxième embellie à l'entrée du troisième millénaire, où la mondialisation s'est définitivement inscrite dans les contrats internationaux d'échange, a conforté plus que jamais l'hégémonie du pétrodollar, dont le wahhabisme, en tant que représentation spirituelle du culte partagé, doit représenter le modèle privilégié dans la pensée et la pratique de l'islam. La déconfiture par la rente Et le monde arabo-musulman regarde alors, dans la série des grands soubresauts due aux valeurs du brut, un islam particulier importé des confins du désert, tendant d'annihiler les nombreuses tendances du réformisme musulman advenu après la chute de l'empire ottoman. Contre cette tendance réformiste de la Nahda, en particulier, à travers laquelle, les ulémas et les exégètes, nonobstant les asservissements multiples de l'ordre colonial occidental, agissant dans l'ensemble du Monde-arabo-musulman, ne manquaient pas de prendre en considération les idées de la modernité, héritée de la révolution industrielle européenne, dont la notion de laïcité, acceptée et mise en œuvre par les dépositaires déchus dans la déconfiture de la Sublime porte. Suivie, dans la logique de l'émancipation vers le particulier, par le recours des Etats aux divers modèles d'identification communautaire, comme le nationalisme et l'obédience de l'économie politique, le socialisme ou le libéralisme, entre autres. Et donc le wahhabisme ne doit rien laisser transparaître de ces «écarts» par rapport au dogme originel, qui empêcherait le triomphe d'un conformisme unique, sunnite et qui a pour gardiens ad vitam aeternam les dirigeants qui protègent les Lieux Saints de l'islam, en Arabie saoudite. Cette doctrine fait, petit à petit, oublier la question palestinienne -Israël ayant à maintes reprises démontré sa force invulnérable par rapport à tous les Arabes réunis- au profit de la sauvegarde de l'intérêt musulman dans le monde, sous un concept idéologique nouveau, celui du «réveil, la sahoua». En tout cas de l'une ou de l'autre apparence de l'économie et de la culture, ce phénomène de chamboulement orchestré par l'opulence relative à la valeur des hydrocarbures est aujourd'hui enregistré comme une déconfiture monumentale générale pour l'ensemble de la région du Monde arabe – y compris dans l'ensemble du Plateau iranien, qui englobe l'Afghanistan et à un degré moindre, le Pakistan. Il semble, désormais, que tout projet de société, pour un pays ou un autre, ne parvient pas à sortir de la réalité rentière, de la glorification de laquelle la relation au travail, dans une perspective de production de richesse autre que le produit pétrolier ou gazier -celui-là même réalisé d'après les moyens du concours étranger- est voué à l'échec, quels que soient les discours liés à la somptuosité factice dans la réalisation des faramineuses infrastructures enregistrés chez les pays arabes rentiers. Tandis que ces derniers ne parviennent pas au minimum de l'abécédaire industrieux ou managérial. Enfin le dernier Sommet de l'Opep, tenu dernièrement à Vienne, pour tenter de palier la crise sur la grave chute des prix du brut, dénote on ne peut mieux cette vision de la course vers les situations clémentes, considérées comme appartenant au paradigme de la sorcellerie acquisitive. Un peu comme dans le jeu sur la spéculation dans les places boursières. Où, à la place des traders ce sont, là, les Etats dans leurs «splendeurs» qui s'y mettent. N. B.