Ailleurs où le ciel n'est pas toujours bleu et la vie pas toujours rose pour elle, la femme n'est pas encore tout à fait le devenir de l'homme, encore moins son avenir politique. Mais quand même, les choses sont beaucoup moins noires pour elle par rapport à la vie de soumise, d'inférieure et de violentée qu'elle mène en Algérie. Car si des imbéciles battent encore les femmes ailleurs, et leur font subir différentes formes de violence, dans ces contrées, ces femmes-là se battent tout le temps pour arracher plus de droits et occuper, de haute lutte, le haut du pavé notamment en politique. Qu'en est-il alors en Algérie, terre du machisme moustachu ou barbu, parfois d'une violence inouïe à l'endroit de femmes, battues, violées ou kidnappées ? En matière de représentation politique, la femme algérienne, c'est aujourd'hui certes «30% de l'homme» mais toujours «hachakoum» en société. C'est-à-dire, «sauf votre respect», ou même «sauf votre honneur», tournures ignobles suggérant que le genre féminin est synonyme de souillure du fait même de la biologie ! Formules de l'ignominie que nombre d'Algériens utilisent lorsqu'ils évoquent la femme devant d'autres hommes, y compris quand il s'agit de leurs propres mères, sœurs, filles ou épouses. Cet état d'esprit en dit long sur la nature et l'ampleur des violences imposées aux femmes, comme une chose «normale», c'est-à-dire ordinaire, banalisée et facile à exercer. Bien évidemment, la violence contre les femmes est le propre de l'homme où qu'il se trouve, jamais l'apanage de l'Algérien. Sauf qu'en Algérie où la femme a toujours un statut de mineure et de relégation dans l'infériorité, elle est colonisée par l'homme qui ajoute aux minorations coraniques, une interprétation très personnelle, donc restrictive et intéressée du dogme musulman pour justifier sa férule brutale sur la femme. Pour autant, la discrimination positive en faveur des femmes en politique, dont le président Abdelaziz Bouteflika a fait une cause personnelle pour mieux contourner les pesanteurs sociales et le toujours restrictif code de la famille, n'a pas amélioré dans les faits la condition féminine. Les Algériennes, qui sont pourtant démographiquement majoritaires, comme elles sont majoritaires dans l'enseignement et, paradoxalement, dans la Justice, subissent, chaque année plus encore, violences, discriminations et abus divers que les statistiques n'arrivent pas toujours à capter. Il n'existe pas en effet de statistiques exhaustives sur l'ampleur de la violence sexuelle et de la violence liée au genre en Algérie. Mais selon une vaste étude sur la question, menée à l'échelle nationale par l'Institut étatique de santé publique (Insp) et publiée alors en 2005, environ 6% des violences perpétrées à l'égard des femmes étaient de nature sexuelle. Preuve en est que l'honneur de la communauté tout entière est toujours placé dans le corps de la femme qui reste une «âawra» du point de vue de l'Islam, c'est-à-dire non seulement un tabou mais un corps interdit et honteux à cacher et sur lequel le regard concupiscent serait un pêché. Chiffres qui datent mais qui sont probablement bien plus élevés en réalité, étant donné que les victimes s'abstiennent généralement de dénoncer les abus à cause de la stigmatisation sociale associée au viol et aux autres formes de violence. Des données plus récentes réunies par la police judiciaire et relayées par les médias indiquent que durant les trois premiers trimestres de 2013, 266 des 7 010 plaintes déposées concernaient des violences sexuelles, notamment des cas de viols, de harcèlement sexuel et d'inceste. Le pire a été cependant atteint durant la décennie rouge du terrorisme noir des années 1990 où le viol systématique des femmes et des jeunes filles fut l'une des stratégies adoptées par les terroristes islamistes. La femme fut alors investie comme un champ de bataille sacré où tous les mauvais coups étaient permis : viols individuels et collectifs (touiza), mutilations, esclavage sexuel, djihad du nikah imposé aux femmes au motif de servir ainsi dieu. Infamie insoutenable, souillure profonde et déshonneur absolu subis par des innocentes dans le cadre de stratégie mise en place par les criminels intégristes pour humilier et détruire, à travers les femmes, l'ensemble de la communauté considérée comme ennemie de dieu. Pour toutes ces femmes, être violées, c'est voir leur vie volée, car être violée ainsi, c'est la garantie de ne plus être un être social. Aujourd'hui, le législateur a fini par inscrire dans la loi des avancées jugées mineures, mais des avancées tout de même. Il y a été contraint sous la double pression du mouvement associatif d'écoute et de protection des femmes et de la pression internationale, associée au volontarisme politique du chef de l'Etat qui intervient pour imposer un certain progrès en matière de défense des droits des femmes. Notamment l'introduction dans le Code pénal de dispositions coercitives et le vote d'un texte portant réparation financière en faveur des nombreuses femmes violentées et violées par les islamistes durant les années de terrorisme. C'est bien, mais cela demeure insuffisant. Certes, toute avancée est bonne à prendre. Surtout quand il s'agit de plus de droits pour les femmes. Dans le cas présent, la bonne nouvelle, c'est le renforcement du très faible arsenal juridique en matière de répression des violences contre les femmes. Le projet d'amendement du Code pénal prévoit en effet de criminaliser la violence contre les femmes, dans la relation conjugale ou hors cadre du mariage. Il n'est jamais trop tard pour bien faire dans un pays où les pesanteurs sociales et la tradition, dans la réalité des faits, pèsent plus que le droit. Mais, aussi réjouissante qu'elle soit, cette avancée réelle porte en elle un vice rédhibitoire, une clause scélérate. Une disposition vicieuse qui absout le crime de violence «quand la femme pardonne à son agresseur» ! La scélératesse de cet arrangement est d'autant plus évidente que cette clause de pardon n'est même pas une clause compromissoire. C'est, assurément, une conditionnalité abusive, pis encore, léonine. Car elle responsabilise plus la victime invitée ainsi à réfléchir aux conséquences de sa plainte. Et elle favorise justement son pardon dans une société où la pression sociale est telle que la victime serait amenée, le plus souvent, à absoudre son bourreau qui peut être un proche. Les auteurs du projet de loi semblent avoir agi hors temps, hors sol et hors contexte. Or, on sait pertinemment que les femmes, victimes de violences dans une société où les rapports sociaux sont violents et basés le plus souvent sur le rapport de force et la survalorisation de la place de l'homme dans la société et dans la famille, portent rarement plainte. Dans la plupart des cas elles s'abstiennent, de peur de se faire éjecter du domicile familial et parce qu'elles ne peuvent pas subvenir à leurs besoins, une fois seules. Selon des statistiques fiables, seules 17% des femmes ont des revenus réguliers qui leur permettraient, le cas échéant, de se prendre en charge financièrement. C'est ainsi que le législateur condamnait déjà les femmes sans ressources et sans autonomie financière à souffrir en silence et à ne pas penser à se plaindre aux juges. La loi, parfaitement imparfaite de ce point de vue, tient peu compte des facteurs de menace, d'intimidation et de chantage dont les femmes sont l'objet permanent au sein de la famille et au-delà. Cette clause infâme et peu protectrice des femmes battues alors même qu'elle se propose de mieux les défendre, aurait même, si elle était appliquée en l'état, un effet contreproductif. Elle favoriserait un surcroit de violence, notamment la récidive, sachant que le pardon des victimes absoudrait in fine le crime de violence. Or, nul ne doit ignorer que les conditions sociales et le climat psychologique du couple et de la famille dans le contexte plus global de la société, inciteraient le plus souvent les femmes à pardonner après plainte. Les mêmes facteurs qui l'incitent à ne pas ester en justice, pousseraient la victime à pardonner après coup ! Toutes les associations de lutte contre la violence faite aux femmes disent qu'elles ont peur et subissent des pressions incoercibles. Et que la plupart des femmes retirent leurs plaintes, redoutant de se retrouver à la rue avec les enfants, même en sachant qu'en cas de divorce en bonne et due forme, le logement familial reviendrait légalement à la femme qui a la garde de la progéniture. Cette clause perfide et injuste, qui efface, après coup, la responsabilité délictuelle de l'auteur des violences, ne doit pas être maintenue. Et, il faudrait, même en cas de pardon de la victime, que la Justice maintienne elle-même la plainte. La Justice doit donc rester le premier et l'ultime responsable de la protection de l'intégrité des personnes, a fortiori des individus fragiles, encore plus des femmes violentées. C'est évident, la miséricorde ne doit pas surpasser la justice. Et, il ne faudrait pas, comme le disait Blaise Pascal, que ne pouvant pas fortifier la justice, on justifie alors la force, dans ce cas, la violence conjugale. Nos législateurs et nos juges doivent écouter aussi Confucius lorsqu'il dit «Rendez le bien pour le bien et la justice pour le mal». N. K.