La culture et les arts plastiques algériens sont encore une fois endeuillés par la perte d'un de leurs meilleurs enfants, l'artiste peintre Abdelouahab Mokrani, qui est décédé dans la nuit de mercredi dernier. Il est parti sur la pointe des pieds. Il a été enterré au cimetière El Alia en ce jour saint du vendredi 5 décembre à Alger. Cette funeste nouvelle plonge dans la consternation ses amis, les artistes et les anonymes, qui témoignent du foisonnement artistique de cet écorché vif de la vie qui avait trouvé dans l'art un exutoire où il laissait s'exprimer tout son génie créatif. Né le 6 janvier 1956 à Taher, dans la wilaya de Jijel, il est indiqué dans la biographie d'Abdelouahab Mokrani qu'il était encore à l'école maternelle lorsqu'il commence à modeler des figures humaines dans la pâte à modeler que son père avait gagné à une tombola. Venu à Alger en 1967, il fréquente de 1971 à 1974 l'Ecole des beaux-arts d'Alger puis rencontre et se lie avec M'hamed Issiakhem. À l'Ecole des beaux-arts de Paris, de 1976 à 1982, son professeur de gravure est Jacques Lagrange. Il effectue alors des voyages à Florence. Rentré en Algérie en 1983, il est durant deux ans pensionnaire de la villa Abdeltif d'Alger de 1987 à 1989, et c'est là où il rencontre Kateb Yacine et réalise sa première exposition personnelle. En 1992 et 1993 il séjourne à la Cité internationale des Arts de Paris. Après un nouveau passage par Paris à partir de 1997, il vit et travaille à Alger à partir de 2004. Il est également souligné à propos de sa peinture, «hier plutôt sombre et heurtée, sa peinture s'est colorée, mettant une fois de plus en relief des silhouettes fixées dans des postures énigmatiques, des visions inquiètes où se profile également son grand talent de dessinateur». En 1990, la Galerie Isma à Alger exposait ses œuvres composées pour Vision du retour de Khadidja à l'opium, un recueil de poésie d'Amin Khan. Deux ans plus tard, les Centres culturels français d'Algérie présentaient à leur tour ses illustrations pour Le Voyage, un poème de Charles Baudelaire tiré des Fleurs du Mal. Abdelouahab Mokrani qui ne courait pas après les galeries d'art et les salles d'exposition, a été toutefois sollicité pour participer à d'importantes manifestations et expositions collectives à Alger et Paris. Dans un article qui lui est consacré dans un quotidien national en 2010, l'auteur souligne qu'«il se veut autre, indépendant, exposant quand il le veut et quand il le peut». Car, avoue-t-il, il n'est guère prolifique et souvent il se retrouve à court de toiles. Son indépendance n'a d'égale que sa sincérité et celle de son art, un art expurgé des fioritures, sain. Une symbiose, une fusion, née d'un enchevêtrement de traits au premier jet obtenant en final ces silhouettes, ces formes informes qui pourtant laissent transparaître un pouls, une vie ! L'artiste plasticien Mustapha Sedjal est parmi les premiers à avoir annoncé cette triste disparition. Administrateur de la page Algérie art contemporain sur le célèbre réseau social, Mustapha Sedjal a publié des photos, des œuvres et plusieurs articles qui sont parus au fil des années sur l'artiste, dont une interview qu'il avait accordé à la revue Marsa dans laquelle Mokrani dit : «Il n'y a aucun systématisme dans la création. Chaque peinture est un cas particulier. J'utilise des techniques mixtes : aquarelle, encre et acrylique avec des médiums pour obtenir la transparence de l'huile tout en gagnant du temps sur le séchage. C'est vrai que j'ai cette fébrilité et cette impatience qui me conduisent à travailler avec le plus de spontanéité possible. Mon souci c'est essentiellement la lumière, la couleur et la composition.» «A Alger, mon balcon donne sur le port. Et donc, ma fenêtre est mon support, ma trame lumineuse par la succession des différentes lumières du ciel, entre l'aube et le crépuscule. Auparavant, ma palette était très sombre, et durant mon dernier séjour à Alger, elle s'est complètement éclaircie. Cela ne veut pas dire que l'ombre soit totalement exclue de mon travail actuel. Ce sont des périodes qui se succèdent. Comme le travail nocturne succède pour moi au travail diurne. A Alger, j'ai vraiment découvert que la couleur primait. Les gens pensaient que j'allais ramener de là-bas une couleur expressionniste, morbide. Et j'ai fait juste le contraire. Le thème d'une peinture est sous-jacent. Il finit par s'imposer», a ajouté le défunt artiste. Sur cette page ainsi qu'une autre qui lui a été entièrement dédiée, de nombreux témoignages d'amis artistes sont aussi publiés sur «l'enfant terrible de la peinture algérienne ou à l'enfant jazz de la peinture algérienne parti.... seul». Il y a également des poèmes pour exprimer la tristesse à l'instar de celui de son ami et journaliste Nadir Bacha intitulé la Furie placide : «Il avait dans une main un rayon de lune / Et dans l'autre un grand arc-en-ciel pour l'effacer / Mais ses doigts sous les murs incrédules ont tracé / A l'encre pure un balcon pour toute âme en ruine.» Adieu l'artiste, puisses-tu trouver dans les cieux, la paix que tu as tant recherché... Paix à ton âme. S. B.