Le Che, pas Ernesto Guevara, non, l'Autre, le Français ami de l'Algérie, Jean-Pierre Chevènement, invité à un colloque sur l'Emir Abdelkader, a plaidé pour la restitution des archives coloniales aux Algériens. Pour ce faire, Français et Algériens doivent «arriver à une conscience commune», a dit en conscience le Che de Belfort. Il a même soufflé une idée pratique aux autorités de son pays : «Rien n'empêche le partage des archives, on peut même les dupliquer.» Pour le papier, ça va, mais pour un canon de 12 tonnes de bronze, long de 6,25 mètres, sorti de la fonderie algéroise Dar Ennahas en 1545, c'est un peu plus compliqué ! Comme les pouvoirs publics français ne peuvent réaliser une copie conforme du mythique Baba Merzoug que leur marine a féminisé en le baptisant La Consulaire, s'offre donc à eux une solution plus simple que la suggestion du Che : le restituer à qui de droit, les Algériens. Mais, faut pas rêver et surtout pas croire aux promesses de Gascon, notamment quand elles sont faites par un phraseur habile comme Claude Guéant, alors secrétaire général de l'Elysée ! Se rappeler toujours, à ce propos, un éblouissant camelot politique comme Charles Pasqua qui a dit que les promesses n'engagent que ceux qui y croient. Pour revoir un jour Baba Merzoug à Alger, là où il a craché des boulets durant des siècles, précisément au môle Kheïreddine, entre Bordj Essardine et Bordj El Goumène, à l'Amirauté d'Alger, il faut plutôt sortir les canons ! Tonner, comme doivent le faire les autorités algériennes, ministère de la Défense en tête. Sortir le gros calibre pour revendiquer sa restitution. Et comme on célèbre des deux côtés de la Méditerranée le 50e anniversaire de l'Indépendance, les autorités civiles et militaires algériennes devraient donc réaliser un coup d'éclat. Tonnerre de Brest, ce ne serait que justice que de rapatrier de cette ville Baba Merzoug, père affectueux, jadis protecteur et dispensateur de baraka et de bonne fortune aux Algérois ! Bénis soient alors son tube et son affût ! Marins, gouvernement et Présidence de la République devraient aligner les batteries d'artillerie. Monter en première ligne pour ne pas laisser le vaillant Belkacem Babaci, fondateur du comité de restitution du légendaire canon, tirer à blanc faute de pouvoir tirer à boulets rouges depuis 1999. Belkacem Babaci, remarquable narrateur de l'épopée de Baba Merzoug (Editions ColorSet), met beaucoup de cœur à l'ouvrage. Mais il est bien seul, en dépit des médias nationaux qui lancent en chœur des pétards mouillés. Aider ainsi le soldat Babaci, l'enfant chéri de Sabbat El Hout, l'actuel Palais des Raïs (Basse-Casbah), qui a tant besoin de canonniers à ses côtés. Que nos militaires et nos diplomates sachent donc que des Français n'ont pas hésité à donner de la voix, chez eux, utilisant tour à tour les armes de la pétition et du lobbying. Ainsi de ces honorables officiers de l'armée française qui, déjà en 1912, ont signé une pétition réclamant la restitution de Baba Merzoug à ses primo-propriétaires. Et, plus près de nous, cet homme d'affaires breton, Domingo Friand de son nom, imbu de justice et si friand d'histoire, qui a porté la question devant Jacques Chirac et au Parlement français. En vain, car la ministre de la Défense de l'époque, une rigide Michelle Alliot-Marie, avait entonné que La Consulaire «fait partie intégrante de notre patrimoine historique de la Défense ; de plus, le personnel de la Marine manifeste un attachement particulier à ce monument qui commémore la participation des marins à un épisode glorieux de l'histoire de nos armées». Mais, si la dame trouvait dans la séquestration de Baba Merzoug une justification de la mémoire coloniale, les Algériens, eux, devraient inverser l'argument mémoriel pour revendiquer la restitution d'un canon qui fit tant de bien pour la défense d'Alger contre des vagues d'envahisseurs. En son temps, Baba Merzoug, dont la portée est de 4,872 km, exceptionnelle jusqu'à l'avènement de la Grosse Bertha au XXe siècle, a fait des étincelles en tirant à boulets d'enfer sur maintes et maintes escadres. Il est vrai, les marins français maugréent présentement sous le képi bicorne à l'idée qu'on puisse déboulonner un jour Baba Merzoug, érigé en colonne votive dans la rade de Brest. Soit. Mais, si la marine française y voit encore quelque gloire militaire à conserver par-devers soi le canon ennemi, son maintien au cœur de l'Arsenal de Brest ne relève d'aucune fatalité historique. Tout bien mal acquis est condamné à revenir à ses légitimes propriétaires. Le président Chirac, exemple symbolique à méditer, a déjà restitué le sceau du Dey Hussein, ce potentat émasculé qui a capitulé sans tirer un coup de canon, le 5 juillet 1830. La France, d'autre part, n'a-t-elle pas rendu aux Allemands la statue d'Apollon que Napoléon Bonaparte leur a volée comme un vulgaire chapardeur de poules ? Alors, pour que Belkacem Babaci, ce moudjahid de la mémoire, ne soit plus seul, chargeons tous les canons pour exiger le retour de Baba Merzoug, des huit couleuvrines du château parisien des Invalides et les crânes du Chérif Boubaghla, de Cheikh Bouziane et de Moussa Derkaoui, conservés au Muséum d'histoire naturelle de Paris comme des curiosités anthropologiques. Plus que des canons ou des restes mortuaires prestigieux, ce sont là des corpuscules insécables et incessibles de la mémoire algérienne. Inaliénables, ad vitam aeternam. N. K.