A. Lemili Est-ce à cause d'un manque d'imagination, de sens de créativité ou tout simplement, et ce qui est sans doute le plus plausible, un attachement aux valeurs culturelles et artistiques qui ont fait que le microcosme artistico-culturel d'une ville, précédée par sa réputation en ce sens, semble en décalage par rapport à la vague de modernisme qui emporte tout sur son passage ? L'attachement aux valeurs ancestrales, au respect des traditions et surtout du legs des anciens est incontestable chez les Constantinois. Qu'il s'agisse d'habitudes vestimentaires, de musique, d'art culinaire et de celui de recevoir, de faire la fête, certainement pas dans leur majorité, mais une appréciable partie, et s'évertue à y veiller auprès de sa descendance, à garder intacts ce qu'elle considère comme un pan parmi les plus importants de la mémoire locale alimentant dans la foulée celle nationale pour intégrer l'universalité à l'image d'autres nations du monde. Il faudrait toutefois concéder que cet attachement concerne, notamment, la musique, l'art culinaire, une manière de s'habiller traditionnelle qui reste tout de même ancrée chez une grande partie de la population et plus particulièrement au-delà de la cinquantaine d'âge, le travail artisanal des métaux comme le cuivre, l'argent et l'or. Quant à l'art de la construction, ceux parmi une population qui disposent des moyens reviennent progressivement à l'architecture d'antan même si ce retour est plus proche de l'art militaire de la construction (citadelle). Pourtant cette pugnacité de la préservation ne peut, vaille que vaille, qu'être entamée par l'invasion des modes, des techniques qui, de fait, exhortent à leur tour à la formulation nouveaux besoins et ce faisant de nouvelles demandes. Une translation qui s'opère avec aisance en l'absence de repères précis pour une partie de population, notamment les jeunes poussés inexorablement vers la sortie par ceux-là mêmes qui, au nom de la préservation d'un art, d'une activité, exercent un monopole lequel est non seulement à l'origine de l'ostracisme de ladite jeunesse mais participe également et surtout à sa lobotomisation ou du moins, et volontairement, accrédite l'extinction de traditions en les imputant à l'inculture ou la soif de changement chez la frange évoquée tout au long de cet argumentaire. Récemment sur le plateau de la station locale de la radio nationale, le commissaire délégué de «Constantine, capitale de la culture arabe 2015» a été invité par un journaliste à donner dans les détails quelques grands traits de l'évènement international tout au long de son déroulement, celui-ci a donné une réponse qui en dit long sur l'objectif censé encenser ou redonner ses lettres de noblesse à une cité vieille de 2 500 ans et en dit également long sur la perception, voire la déconnection des organisateurs, pour ne pas dire d'acteurs de plusieurs secteurs ministériels, par rapport aux vraies attentes d'une manifestation dont l'objectif premier est justement de faire connaître au reste du monde arabe, voire occidental, une culture locale qui n'est tout autant qu'un pan entre autres de celle nationale. À la question, M. Bencheikh El Hocine a cité quelques noms «Cheb Khaled, Mami, Bilal...» et aucun cas Mohamed Tahar El Fergani, Boudjedra, Ouettar, Kateb, Benbadis, Cheikh El Ghaffour, Tchanderli. C'est dire. À Constantine, l'attachement des habitants à ce qui constitue un cordon ombilical avec leur ville est tel que les plus nostalgiques s'obstinent à prendre un double-zit (bol de pois-chiches) à quatre heures du matin en prenant soin de lustrer des chaussures spécialement montées chez le dernier chausseur de la ville, les lustrer en usant de vrai cirage et le faire briller en y ajoutant un zeste de poussière récupérée à même la semelle, sans omettre de porter durant le week-end un bleu de Chine (Shangaï) et petit foulard autour du cou en plus d'une pochette et à user d'un langage idiomatique. A. L.