Le 7 octobre 2014, les quatre pays de la Commission du Bassin du Lac Tchad (Cblt - Niger, Tchad, Cameroun et Nigeria) ont annoncé la mise en place d'une force militaire régionale pour la lutte contre le terrorisme islamiste de Boko Haram qui sévit dans le nord du Nigeria et qui menace le Cameroun. Le Benin a été associé à cette initiative pour étouffer afin d'éviter toute contagion et étouffer dans l'œuf le mouvement terroriste qui a tué, depuis 2009, plus de 13 000 personnes au Nigeria et enlevé des centaines de personnes, en majorité des femmes. Mais nous sommes à des années lumière entre ce qui a été couché sur le papier et le déploiement des soldats sur le terrain. En effet, il n'y a que le Tchad qui vient de mobiliser plus de 400 soldats, sur les 700 prévus par chaque pays membre de la Cblt. Le Parlement tchadien a voté la semaine dernière l'envoi de ses troupes, non seulement pour aider le Cameroun, mais aussi le Nigeria, qui n'a pourtant pas confirmé son accord. On sait aussi que N'djamena fait partie de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma). Ses soldats ont été victimes de plusieurs attaques des groupes terroristes dans le Nord-Mali contre les camps et les convois de la Minusma. Mais le Tchad a affirmé, à chaque fois, sa volonté de garder ses troupes au sein de la Minusma, peu importe le prix à payer, car il y va de l'avenir politique et sécuritaire de N'djamena et ses pays voisins du Sahel. Pourtant, le Tchad n'est pas une puissance économique et militaire africaine pour se permettre un tel activisme militaire dans la région sahélo-saharienne, sachant que le régime du président Idriss Deby Itno est constamment sous la menace d'un coup d'Etat militaire de la part de ses opposants, souvent soutenus par Khartoum. Sur les 9 300 militaires et policiers formant le contingent de la Minusma, le Tchad a fourni 1 211 hommes en uniforme, suivi par le Niger avec 868, selon des chiffres officiels. De nombreux observateurs et analystes se sont penchés sur la question de l'engagement militaire du Tchad dans les conflits qui secouent la région. Après des années d'isolement, le Tchad revient au-devant de la scène, dans un contexte sécuritaire régional explosif. Les puissances occidentales ont trouvé en ce pays un nouvel allié dans la région. Pour N'djamena, c'est l'occasion de redorer son blason aux yeux de ses voisins mais surtout vis-à-vis de sa population, sortie marcher dimanche pour soutenir l'envoi des soldats tchadiens au Cameroun pour combattre Boko Haram. A regarder la position du Tchad sur la carte, beaucoup sont tentés de penser que N'djamena aspire à être le cœur battant de la lutte contre l'insécurité sur le Continent africain. La montée en puissance des groupes terroristes, dont Al-Qaïda au Maghreb islamique dans le Sahel et Boko Haram au Nigeria, a été une occasion pour le Tchad d'affirmer son intention d'être une puissance militaire régionale. «La paix et la stabilité retrouvées, le Tchad doit assumer son statut dans la sous-région et en Afrique. Le Tchad est un grand pays au cœur du continent et il doit jouer pleinement son rôle», lit-on dans un extrait d'une déclaration des autorités tchadiennes en 2013, à propos de leur engagement dans la crise qui secoue depuis fin 2012 le Mali. Idriss Deby, au pouvoir depuis 24 ans, n'a pas manqué de profiter de la crise malienne pour booster le sentiment de fierté nationale des Tchadiens. «Dès le déclenchement de cette crise (...), des sollicitations plus ou moins ouvertes ont été adressées au Tchad pour une intervention en faveur des autorités légales du Mali. L'attention accordée ainsi à notre pays est, certes, l'expression d'un signe de considération pour les efforts déployés en faveur de la paix et de la stabilité en Afrique, mais en même temps elle nous commande de faire preuve de beaucoup de responsabilités en tant que nation située au cœur du continent. En outre, depuis le 11 janvier 2013, des regards sont constamment tournés vers nous pour scruter le moindre signe de réaction de notre part par rapport au déclenchement, par la France, de l'opération Serval, au Mali. Par conséquent, le Tchad ne pourrait continuer à garder le silence. Il ne peut se soustraire à son obligation de solidarité vis-à-vis du peuple malien. C'est la raison pour laquelle j'ai donné l'accord du Tchad à la demande des autorités françaises pour que la mission Epervier puisse être mobilisée au profit de l'opération Serval à partir de notre territoire», a-t-il déclaré dans un discours datant de 2013. Mais derrière ce besoin de soigner son image en interne et à l'étranger, le Tchad craint aussi et avant tout pour sa propre sécurité. Vaste pays quasi-désertique (plus de 1,2 million de mètres carrés) et cerné pas les conflits armés en cours chez les pays voisins, le Tchad semblerait n'avoir d'autre choix que de jouer la carte de l'offensive armée afin d'éviter toute contagion. Les intérêts économiques sont aussi un des enjeux de cette présence militaire, de plus en plus médiatisée, du Tchad. L'envoi de 400 soldats au Cameroun vise aussi à protéger l'oléoduc reliant le site d'extraction de Doba, dans le sud du Tchad, au port camerounais de Kribi, sur un tracé de 1 070 kilomètres. Ce pipeline, mis en service en 2003 pour un coût de réalisation de plus de 4,3 milliards de dollars, est d'une importance capitale pour le Tchad. En 2012, le Niger a émis son souhait d'utiliser cet oléoduc pour l'acheminement de son pétrole brut du gisement d'Agadem jusqu'à la côte atlantique du Cameroun. Ce qui n'est pas négligeable comme source de revenus pour le Tchad, qui ne dispose pas d'autre ressource financière importante en dehors de l'or noir. En résumé, l'engagement militaire tchadien au Mali, au Cameroun et au Nigeria ne relève pas seulement du désir de reconnaissance ou d'un égo démesuré du président Idriss Deby pour se maintenir au pouvoir. Mais il s'agit aussi de se prémunir contre le danger terroriste qui menace durablement la stabilité de l'Afrique de l'Ouest de la région sahélo-saharienne. L. M.