Chems Eddine Chitour, professeur émérite à l'Ecole nationale polytechniquen et Abdelmadjid Attar, expert des questions pétrolières et ancien P-dg de Sonatrach, sont d'accord pour affirmer que l'exploration du gaz de schiste doit continuer aux seules fin de déterminer le potentiel réel de l'Algérie en la matière. La Pr Chems Eddine Chitour, qui appelle depuis des années à la rationalisation de la consommation d'énergie en Algérie, estime que les études d'exploration lancées par Sonatrach pour le gaz de schiste doivent se poursuivre pour permettre d'évaluer les réserves réelles de cette énergie non conventionnelle. «L'étude de gaz de schiste doit se poursuivre, nous devons terminer rapidement la phase d'exploration pour procéder aux évaluations réelles de la ressource», souligne M. Chitour dans une déclaration à l'APS. Il regrette le fait que la seule estimation faite et qui soit disponible provient d'une étude américaine. Il considère que le gaz de schiste est une richesse «à exploiter rationnellement» et que les forages d'exploration sont nécessaires pour maîtriser la technique, ajoutant que leur faible nombre «n'hypothèquera pas les fondamentaux de la vie au Sahara». Il estimera cependant que ce gaz ne fera partie du mix énergétique national qu'une fois la technologie de production sera mature. L'Algérie doit, d'abord, donner la priorité à la formation des compétences nécessaires et à la prise des précautions en termes d'environnement avant d'envisager toute éventuelle exploitation, a-t-il ajouté. «Quand nous serons prêts technologiquement, en formant les ingénieurs et les techniciens en géologie, géophysique, forage, mécanique, d'électronique et sans oublier les spécialistes de l'environnement, le gaz de schiste jouerait pleinement son rôle», préconise-t-il. M. Chitour estime que le gaz de schiste aurait toute sa place dans le cadre d'une stratégie énergétique à long terme, basée avant tout sur la «sobriété énergétique». Mais le professeur plaide surtout pour un «plan Marshall» pour les énergies vertes, rappelant que les énergies renouvelables représentent moins de 0,1% du bilan électrique algérien. Il est temps d'élaborer une stratégie de rationalisation de l'énergie et de l'augmentation progressive de ses tarifs, ce qui nécessite de redéfinir la politique sociale et le soutien de l'Etat aux classes défavorisées, a-t-il déclaré. Pour sa part, l'expert Abdelmadjid Attar affirme que le gaz de schiste en Algérie doit avoir sa place à long terme comme une ressource complémentaire dans le mix énergétique national et ne doit, en aucun cas, être considéré comme «une rente». L'ex-P-dg de Sonatrach considère que toute confirmation technique et rentable de gaz de schiste dans les cinq années à venir ne pourrait faire l'objet d'une éventuelle exploitation qu'au-delà de dix à quinze ans. «Une production qui viendra, à ce moment, en appoint aux besoins internes du pays et non en tant que rente», explique-t-il, en insistant pour que ce gaz soit considéré comme «une alternative partielle et un simple complément à la sécurité énergétique du pays au-delà de 2030». L'Algérie est seulement au stade de l'exploration, c'est-à-dire l'étape d'évaluation du potentiel récupérable si les techniques actuellement existantes permettent son extraction sans risques, dira-t-il. Il estime que c'est une «phase obligatoire» avant d'envisager toute exploitation, laquelle exige une autorisation du Conseil des ministres conformément à l'article 23 bis de la loi sur les hydrocarbures. Il indique aussi que des pays comme la Chine, l'Argentine, le Royaume-Uni, l'Espagne, l'Afrique du Sud et même l'Arabie saoudite sont aussi en phase exploratoire de leur gaz de schiste, avançant qu'il y va de la sécurité énergétique de chacun de ces pays dans l'immédiat ou à moyen terme. «Dans une décennie, le problème de la sécurité énergétique en Algérie deviendra de plus en plus préoccupant vu la croissance de la consommation interne», avise-t-il, soulignant que le gouvernement est en face d'un «grand défi» qui est celui de mettre en place un modèle de consommation énergétique comprenant en priorité l'investissement dans le renouvelable, l'impulsion d'un programme d'économie d'énergie et la préservation d'une rente minimale pour financer une nouvelle économie productrice de richesses. À ce titre, il considère qu'il est prématuré de parler de moratoire sur les forages de schiste en Algérie, tel que revendiqué par des citoyens et des partis politiques, tant que la phase exploration n'est pas encore achevée. «Un moratoire nécessite un débat ouvert et transparent sur la base de données concrètes, d'où la nécessité de dépasser le stade exploratoire et d'en débattre sur la base de données algériennes et non de données ou de modèles étrangers dont le contexte géographique, économique et même humain est complètement différent», soutient M. Attar. Il a également précisé que les risques enregistrés en début d'exploitation aux Etats-Unis et en Pologne sont «dus à l'absence de mesures de prévention et un contexte géologique, hydrogéologique ou topographique qui n'existe absolument pas en Algérie». Il observe qu'il n'y a pas d'activité sans risques y compris même dans le domaine de l'agriculture, laquelle génère parfois des dégâts en matière de surexploitation des eaux et de leur pollution. «Il y a eu aussi des problèmes (environnementaux) dans le secteur pétrolier, mais à chaque fois, les sociétés pétrolières ont apporté les solutions adéquates», relève-t-il. Ces paroles d'experts permettront aux citoyens d'avoir enfin un éclairage sur la réalité du gaz de schiste et de son exploitation future. A. E./APS