Soumis à une tension permanente entre le Nord contrôlé par les Houthis et le Sud dominé par des forces alliées au président déchu, Abdrabbou Mansour Hadi, le Yémen se retrouve, aujourd'hui plus que jamais, au cœur d'un affrontement par procuration entre puissances régionales, estiment les spécialistes. Une situation imbriquée qui risque d'aboutir à une dislocation pure et simple de ce pays du sud de l'Arabie. En fait le Yémen a déjà vécu cela dans son histoire récente lorsqu'il y avait deux Etats appelés Yémen. Aujourd'hui, il y a comme un début de remake de la guerre Nord-Sud de 1994. À l'époque, Ali Abdallah Saleh avait déjà été Président à Sanaa et avait vaincu les sécessionnistes du Sud. Un scénario que Abdrabbou Mansour Hadi, le Président poussé à la fuite vers la capitale de l'ancien Yémen du Sud le 21 février, voudrait bien voir se répéter. «Aden est la capitale du Yémen depuis que Sanaa est occupée par les Houthis», déclare-il depuis son lieu de refuge. Une évolution dans un sens dangereux. Les différentes parties en présence semblent se préparer, après les échanges verbaux, à passer la parole aux armes. Les signes avant coureurs sont aujourd'hui palpables. Avec l'afflux de responsables étrangers à Aden, et la décision des pays du Golfe d'y transférer leurs ambassades, l'unité du pays est plus que jamais menacée. Au mieux, le Yémen risque de connaître le même sort que la Libye, avec deux gouvernements dans deux capitales qui s'affrontent dans un pays livré au chaos. Alors que le président Hadi est sous l'influence des sécessionnistes du Sud, l'ancien président Ali Abdallah Saleh essaie, lui, de revenir au pouvoir à partir de ses fiefs situés dans le nord du pays. Son parti, le Congrès général du peuple, le présentant comme le garant de l'unité du pays. Mais le clivage n'est pas seulement d'ordre interne. Les bruits de bottes retentissent à la frontière saoudienne où les Houthis ont entrepris des manœuvres militaires, les premières de cette ampleur depuis le coup de force en février. Le Yémen apparaît de plus en plus coupé entre un Nord sous l'emprise des Houthis et un Sud où se sont regroupées différentes factions qui refusent le départ de Hadi. La partition géographique du pays, qui se profile à l'horizon, pourrait cette fois avoir une connotation confessionnelle chiites-sunnites. Les Houthis étant d'obédience chiite et représentent un tiers des 24,5 millions d'habitants. Guerre civile ou partition L'Arabie saoudite a parrainé une transition politique fin 2011 au Yémen dans la foulée du «Printemps arabe». Cependant Ryadh s'est trouvée piégé face à la montée en puissance en 2014 des Houthis à sa frontière Sud. Les Houthis ont avancé depuis Saada, leur bastion du Nord, vers Sanaa, où ils sont entrés en septembre sans résistance avant de prendre le pouvoir en début d'année. Le puissant voisin du Nord observait cette évolution sans réaction. Ce n'est que vers la fin février que l'Arabie saoudite décide de transférer à Aden son ambassade de Sanaa, fermée après l'arrivée des Houthis au pouvoir. Un autre acteur suit le glissement du Yémen avec insistance. Il s'agit de l'Iran pour qui «Sanaa est la capitale officielle et historique du Yémen et ceux qui, à Aden, soutiennent la désintégration où la guerre civile seront responsables des conséquences», dixit le vice-ministre iranien des Affaires étrangères Hossein Amir-Abdollahian. Alors lorsque les Houthis annoncent l'inauguration prochaine d'une liaison aérienne Sanaa-Téhéran indiquant que l'Iran allait approvisionner le Yémen en pétrole pendant une année et construire une centrale électrique, c'est pris comme une déclaration de guerre. L'Arabie saoudite répond et durcit sa position à l'encontre des Houthis. Ce qui à l'évidence ne fera que resserrer leurs liens avec l'Iran. La rivalité régionale Ryadh-Téhéran devrait imprimer l'évolution du Yémen, pays particulièrement fragile de par sa vulnérabilité économique. Ryadh, qui a stoppé son aide économique vitale au Yémen redoute une évolution particulière des événements : que les Houthis progressent vers le détroit de «Bab al-Mandab» point stratégique à l'entrée de la mer Rouge. Ce qui permettrait à l'Iran, selon Ryadh, de contrôler ce détroit en plus de celui d'Ormuz, de l'autre côté de l'Arabie. Bien que les Houthis disent refuser «l'ingérence de l'Arabie saoudite, de l'Iran ou des Etats-Unis», il est patent que l'influence, voire l'interventionnisme de ces puissances régionales est aujourd'hui criant. Le risque d'une guerre civile ou d'une partition du Yémen est aujourd'hui évoqué ouvertement. Et la lutte d'influence entre l'Iran et l'Arabie saoudite pourrait pousser vers ce scénario tragique. M. B.