De notre correspondant à Annaba Mohamed Rahmani On les voit à la station Kouche vendant à la criée des confiseries, des ustensiles ou des chaussettes, debout derrière un étal de cigarettes, ou interpellant les voyageurs qui s'apprêtent à monter dans un transport en commun. Ils sont des dizaines au marché El Hattab à vendre un peu de tout : allumettes, sachets, tablettes de chocolat, rasoirs jetables, bottes de céleri ou de persil, bref presque tout ce qui est facile à transporter et qui peut être facilement écoulé. «Ils», ce sont les enfants déscolarisés venus des quartiers pauvres pour gagner un peu d'argent qui servira à aider leurs familles dans le besoin. C'est tôt le matin qu'ils investissent les lieux pour occuper les meilleures places. «Celles où l'on peut vendre», nous confie un gosse de 14 ans. «Le meilleur endroit c'est à l'entrée, la marchandise se vend bien puisqu'on est les premiers à proposer nos articles.» Sur tout le trottoir longeant le marché, ce sont des nuées de vendeurs qui se disputent les clients, chacun voulant fourguer son produit sans trop se soucier si ledit produit est périmé ou impropre à la consommation. «L'essentiel est de vendre pour gagner de l'argent, nous achetons ces articles chez des grossistes et des commerçants. S'ils sont périmés, c'est eux qu'il faut voir !» nous lance un autre gosse plus âgé. Les agents de police sèment la panique parmi ces enfants qui se dépêchent de rassembler leurs affaires étalées sur le sol, abandonnant dans leur hâte une partie de la marchandise. Dès que les policiers quittent les lieux, le retour se fait rapidement et chacun revient exactement à la place qu'il occupait auparavant, une sorte de code que tous respectent. Au quartier Mersis, où tout se vend et s'achète, du vieux meuble au téléphone portable, là aussi des dizaines d'enfants s'essaient au commerce informel, chaussures, blousons, vestes, animaux domestiques ou radiocassettes ; on se bouscule, on harcèle le passant, on le séduit par le prix, on le «ferre» et on lui vend sa marchandise. Ces gosses se débrouillent comme ils peuvent pour survivre dans cette société qui ne leur reconnaît plus leurs droits à une enfance dite «normale», mais ceux-là sont plus ou moins libres. D'autres, en plus d'une dure journée de travail, sont surexploités et astreints à des horaires qui ne conviennent pas à leur jeune âge. Serveurs dans des cafés ou des restaurants, plongeurs, garçon de douches publiques, vendeurs dans un magasin, laveurs de voitures dans une station, apprentis tôliers ou autres petits métiers, ces enfants vivent le calvaire au quotidien, insultes, maltraitance et autres sévices sont monnaie courante. Ils se tuent au travail toute la journée, les patrons ne leur concèdent qu'une petite demi-heure pour manger sur place et reprendre aussitôt après. Leur salaire, dérisoire, ne dépasse guère les 4 000 à 5 000 DA par mois, une somme qu'ils remettent à leurs parents pour subvenir aux besoins de la famille. Une enquête menée récemment par les services de la DAS de Annaba sur un échantillon de 130 enfants «travailleurs» montre que 68% d'entre eux ont subi des sévices sexuels ou corporels, ce qui est grave dans un pays comme l'Algérie où les lois sont strictes quant au travail des enfants. L'Algérie, qui a ratifié en 1984 la convention internationale du travail n° 138 relative à l'âge minimum au travail, la convention des droits de l'enfant en 1992, la convention internationale du travail n° 182 relative aux pires formes du travail des enfants en 2001 et la convention n°18 de l'Organisation arabe du travail sur l'emploi des mineurs n'est-elle pas en mesure d'éradiquer ce phénomène qui commence à prendre de l'ampleur ?