Le procès de «l'autoroute Est-Ouest» s'est enfin ouvert hier, devant le tribunal criminel près la cour d'Alger. Le premier coup de théâtre se produira dès l'ouverture de la séance avec la reconstitution du collectif de défense du principal accusé, Chani Madjdoub, pour lequel le tribunal venait de désigner d'office deux avocats afin de tenir le procès. Faut-il rappeler que la déconstitution du collectif de Chani Madjdoub, la semaine dernière, et le refus de l'accusé d'être représenté par un avocat commis d'office avaient amené le juge a ajourné le procès pour une semaine. Un délai offert à l'accusé et à sa défense pour prendre une décision. Hier, et après l'appel des témoins, des parties civiles et des interprètes, Me Sidhoum a présenté la constitution à nouveau du même collectif de défense pour Chani. Les deux avocats commis d'office se sont alors retirés à la demande du juge. Le procès pouvait enfin commencer avec la constitution du tribunal criminel. Le juge Hallali a demandé aux avocats s'ils tenaient à la lecture de l'arrêt de renvoi ou s'il suffisait de rappeler juste ses conclusions. Me Sidhoum exigera la lecture de la totalité du document de 150 pages sur la base duquel son client a été renvoyé devant le tribunal criminel. Au bout de quelques heures, le juge se rend compte de l'absence de Me Sidhoum dans la salle. Exaspéré, il demande au greffier d'arrêter la lecture et lève la séance pour quelques minutes, non sans lâcher avant : «Il exige la lecture de l'arrêt de renvoi et quitte la salle, ce n'est pas sérieux !» A la reprise, certains avocats, dont Me Sidhoum, ont fini par lâcher du lest en acceptant d'arrêter la lecture de l'arrêt de renvoi. Là, c'est le juge Hallali qui décide de «s'entêter» et de rendre la pareille à la défense, «quand il s'agit de la loi et du droit, je suis plus dur qu'un roc, alors j'ai décidé que nous allons continuer la lecture de la totalité de l'arrêt de renvoi. J'ai essayé d'être souple et de vous faciliter la tâche au début, mais maintenant je vais respecter la procédure et votre demande de lecture de l'arrêt de renvoi». A 16h, le greffier, dont la voix ne portait plus, n'était qu'à la trentième page. La soirée s'annonçait longue et épuisante pour l'ensemble des présents dans la salle du tribunal criminel de la cour d'Alger. Mais ces derniers restaient suspendus aux lèvres du greffier qui, en relatant les faits de cette affaire, citait les millions de dollars ou d'euros reçus par les mis en cause en contrepartie des informations ou des facilitations qu'ils ont fourni aux entreprises étrangères. Selon l'arrêt de renvoi, l'affaire qui remonte à 2007, a éclaté après les investigations menées par les éléments de la direction de renseignements et sécurité (DRS), dont Chani prétendait en faire partie. L'enquête a permis de découvrir le pot au rose : d'importantes sommes d'argent ont été perçues par des responsables du ministère des Travaux publics à différents niveaux en contrepartie de «facilitations» ou «informations» offertes à des entreprises étrangères dans le projet de l'autoroute Est-Ouest. L'accusation a pu mettre en évidence les liens entre Chani Madjdoub, le principal accusé qui a joué le rôle d'intermédiaire pour les sociétés chinoise, Citic-Crcc, et japonaise, Coojal, et les autres mis en cause. Chani, accusé entre autres d'usurpation de fonction, de trafic d'influence, de corruption et de blanchiment d'argent, a réussi à communiquer l'ensemble des informations liées au projet de l'autoroute Est-Ouest pour l'entreprise chinoise ainsi qu'à lui offrir toutes les facilitations avec le ministère. Contre ses services, Chani Madjdoub a perçu un taux de 4% de la valeur globale du marché obtenu par Citic-Crcc. Chani Madjdoub a réussi à obtenir 30 millions de dollars et 11 milliards de centimes auprès de l'entreprise chinoise. 15 millions de dollars ont été déposés dans une banque à Singapour et les 15 autres millions dans une autre banque en Autriche. Et afin d'obtenir la coopération des responsables du ministère des Travaux publics, Chani Madjdoub n'a pas hésité à offrir «des cadeaux» à ces derniers. Selon ses aveux, il a affirmé avoir remis «un cadeau», dès les premières rencontres, au secrétaire général du ministère des Travaux publics, Bouchama Mohamed. Il s'agit d'un sac contenant 10 millions de dinars (1 milliards de centimes). Pour Ouzane Mohamed, connu sous le pseudonyme «colonel Khaled», Chani Madjdoub a déclaré avoir remis plusieurs «cadeaux» : 50 millions, 2 000 millions, 800 millions, 120 millions, 140 millions, 1 700 millions (en centimes)... Dans ce dossier, le nom du ministre Amar Ghoul et du fils de Aboudjerra Soltani ont été cités par Addou Sid Ahmed. Lors de son interrogatoire, ce dernier évoque le mystérieux Kouidri Tayeb, en fuite, qui aurait servi de prête-nom pour percevoir d'importantes commissions à la place du premier responsable du ministère des Travaux publics. Addou Sid Ahmed (neveu de Tadj Addou) a également mis en cause Hamdane Salim Rachid, l'ancien directeur de la planification au sein du ministère des Transports. Ce dernier monnayait les informations sur des projets de marchés dans le secteur des transports avec Addou Sid Ahmed, lequel les «revendait» à son tour aux sociétés étrangères intéressées, notamment l'espagnole Isolux-Corsan, spécialisée dans la réalisation des tramways, l'italienne Pizzarotti, qui a obtenu le marché de construction du tramway à Constantine, et la suisse Garaventa qui a obtenu les marchés de téléférique dans trois villes de l'Est, ainsi qu'Alstom qui a eu les marchés du métro et du tramway. En contrepartie, d'importantes commissions auraient été versées transitant par des comptes domiciliés en Espagne, Suisse, Italie et en France, appartenant à l'épouse de Hamdane -qui est l'une des filles Ghereib- mais également à ses deux sœurs. Les trois filles ont été de ce fait inculpées pour participation à blanchiment d'argent et placées sous contrôle judiciaire. La lecture de l'arrêt de renvoi, qui s'est poursuivi jusqu'à 18 heurs, a mis à nu plusieurs autres malversations. De même que plusieurs noms de hauts responsables connus ont été cités dans cette affaire. Mais à 18h, le greffier était encore loin d'atteindre la moitié de la lecture de l'arrêt de renvoi. Il aura fallu l'intervention de Me Miloud Brahimi, qui a demandé au juge d'arrêter la lecture, pour que le président de séance annonce sa décision de commencer les auditions des témoins dès la matinée d'aujourd'hui. Il est donc attendu aujourd'hui le début des auditions à la barre et Chani Madjdoub, le principal accusé, devra être le premier à être appelé. Quelles révélations va-t-il faire ? Va-t-il lever le voile sur les zones d'ombre laissées par l'instruction ? Procès à suivre. Rappelons enfin que dans cette affaire 16 personnes et 7 entreprises sont poursuivies pour plusieurs chefs d'accusations, dont association de malfaiteurs, blanchiment d'argent, abus de pouvoir, corruption et dilapidation de l'argent public. Parmi les accusés, Chani Madjdoub, déjà impliqué dans l'affaire du Faki (Fonds algéro-koweitien) qui remonte à une dizaine d'années, le secrétaire général du ministère des Travaux publics, Bouchama Mohamed, le chef de cabinet, Belkacem Bouferrach, le directeur des nouveaux projets auprès de l'Agence nationale des autoroutes, Mohamed Khelladi, Ouzane Mohamed (colonel Khaled) ainsi que l'intermédiaire Addou Tadj et son neveu Sid Ahmed. Les trois filles Ghereib (filles de l'ancien ambassadeur, député FLN et membre de l'Autorité de lutte contre la corruption) sont également accusées dans cette affaire. H. Y.