Les hautes autorités tunisiennes ont admis que le mouvement de contestation ayant secoué le pays depuis la semaine dernière est une chose «normale». Le président Béji Caïd Essebssi a déclaré, dans une allocution télévisée vendredi soir, que «la Tunisie est visée dans sa sécurité et sa stabilité, mais pas dans son entité». Selon lui, l'origine de ces contestations des jeunes n'est autre que «des mains malveillantes qui cherchent à récupérer la situation» à leur avantage. «Des parties malintentionnées et connues ont utilisé les protestations légitimes dans certaines régions pour semer la discorde», a pointé du doigt le Président tunisien, assurant que «leur appartenance politique est connue, qu'il s'agisse de partis autorisés ou non». Plusieurs villes tunisiennes, dont Kasserine, Ben Aoun, Sidi Bouzid, Kram (à la périphérie de la capitale Tunis) ont connu des violences ces derniers jours. A l'origine de celles-ci, l'exclusion sociale, le chômage et l'absence d'une vision d'avenir pour les jeunes du pays. Ces jeunes sont sortis dans la rue pour exprimer leur ras-le-bol face à leurs conditions de vie. En réponse à cette vague de manifestations qui a pris de l'importance, le gouvernement a annoncé la mise en place d'un couvre-feu national ayant débuté vendredi soir de 20h à 5h du matin. Aucun détail n'a été donné concernant la durée de ce couvre-feu, qui est, soulignons-le, une première dans l'histoire de la Tunisie post-révolution. Samedi matin, les protestations se sont poursuivies dans les villes de Sidi Bouzid et Regueb. A Regueb, les manifestants ont appelé à la libération de plusieurs personnes interpelées pour avoir transgresser le couvre-feu. Le gouvernement, a-t-on annoncé, a tenu une réunion extraordinaire, suite auquel, il a appelé la population à la «patience». Selon Caïd Essebssi, ce couvre-feu a été instauré pour parer à toute éventuelle infiltration de terroristes dans ces mouvements. Il a, dans ce sens, indiqué que des malfaiteurs et des cambrioleurs ont exploité ces protestations pour perpétrer des actes de violence et vandaliser des biens publics et privés. Selon des témoignages, notamment sur les réseaux sociaux, la ville de Kasserine a retrouvé son calme certes, mais il n'en demeure pas moins trompeur. La région de Kasserine, rappelons-le, est le fief d'individus terroristes sévissant dans le pays. L'armée tunisienne, à l'instar des services de la police, peu équipée et peu entrainée pour la lutte antiterroriste, tente tant bien que mal de faire face à la menace terroriste croissante sur l'ensemble du territoire tunisien. Cinq ans après la révolution du jasmin, les gouvernements qui se sont succédé à ce jour n'ont toujours pas réussi à redresser la situation économique du pays, qualifiée de désastreuse. Le gouvernement de Habib Essid, a hérité d'une crise économique, qui jusque-là, a tardé à être nommée comme telle. Dans son entretien accordé à une télévision française, le Premier ministre tunisien a annoncé le recrutement de plus de six mille jeunes, actuellement chômeurs, dans la seule région de Kasserine. Il a, aussi, affirmé que des projets de constructions seront lancés. Ces annonces interviennent comme une réponse à la protesta enclenchée par les jeunes de différentes régions du pays. Ainsi, à fin 2015, le taux moyen national de chômage a atteint 17,2% de la population active, soit 700 000 jeunes dont 30 000 sont des diplômés supérieurs. Face à l'abandon par les autorités du pays de la région de Kasserine, les associations avec l'appui d'avocats ont décidé de déposer un dossier dans le cadre du processus de justice transitionnelle. Objectif visé par ces associations, faire classer la région de Kasserine comme «Région victime». Et pour cause, dans la région de Kasserine, pour ne citer que celle-ci, le taux de chômage est de l'ordre des 26,2%. Celui de l'analphabétisme y est de 32%, contre 12% à Tunis. Le taux de déperdition scolaire est le plus élevé du pays, avec 4%, contre 0,3% dans une ville comme Ariana. Pour faire baisser les tensions, le gouvernement a, également, annoncé le recrutement de plus de 6 000 jeunes, en chômage actuellement, dans la région de Kasserine. Des projets de construction seront lancés, a assuré le Premier ministre tunisien dans un entretien à une télévision française. Le président Essebssi a demandé au gouvernement de présenter des programmes ayant pour trait de réduire rapidement le chômage dans les régions défavorisées. La question est maintenant de savoir quel écho ces mesures vont-elles avoir chez les jeunes, d'autant qu'en plus du défi économique, le pays doit relever celui relatif à la sécurité, qui n'est pas des moindres. Le Chef de l'Etat a qualifié les protestations conduites par les jeunes de « légitimes », car, a-t-il reconnu, ils endurent le chômage et la marginalisation depuis une longue période alors que la révolution a pour slogan la liberté et la dignité. En effet, depuis les derniers attentats ayant secoué le pays, en 2015, causant la mort de dizaines d'étrangers avec tout autant de blessés, le tourisme tunisien a perdu de ses attraits. Près de 50% des hôtels du pays ont fermé, selon les chiffres des autorités compétentes. Le pays compte pas moins de six mille de ses jeunes, dont 700 sont des femmes, qui ont rejoint les rangs de groupes terroristes en Syrie, Irak ou encore la Libye voisine. Toutefois, le risque d'une nouvelle escalade n'est pas écarté en dépit des mesures annoncées par les autorités tunisiennes visant à calmer le mouvement de protestation, qualifié de «la colère de la faim», par certains médias locaux. M. B.