Les dernières mesures prises par les autorités locales à Annaba visant à éradiquer le phénomène de l'informel, qui a pris des proportions alarmantes ces dernières années, pourraient être salutaires si celles-ci sont suivies d'un contrôle permanent et dissuasif. En effet, ce n'est pas la première fois qu'une campagne est menée tambour battant, avec la mobilisation des forces de police, pour déloger des marchands de fruits et légumes installés dans les cités populaires de la ville, sur les trottoirs, les places publiques et parfois même sur les chaussées. Ces commerces illicites, qui ont pris racine dans ces quartiers, ont été ainsi éradiqués et les lieux qu'ils squattaient nettoyés. Mais l'embellie sera de courte durée. Quelques temps après, une fois la campagne passée, les commerçants chassés reviennent reprendre place et s'installer là où ils étaient la veille. Pis, leur nombre va en augmentant, si bien qu'une autre opération de ce type s'impose, et avec plus de moyens pour la mener à bien. Dernièrement, dans le cadre de cette lutte, les marchés informels des cités «La Colonne», «l'Elysa» et Oued Forcha qui défiguraient les lieux avec des étals faits de divers matériaux, armatures métalliques ou en bois, bâches en plastiques rapiécées, fils électriques pendouillant, le tout assiégé d'ordures de toutes sortes, ont été démantelés. Les occupants, qui avaient été recensés auparavant, ont été transférés dans un marché flambant neuf. Ces derniers ont fait l'objet d'enquêtes qui avaient abouti à l'assainissement de la liste des supposés bénéficiaires, et on avait alors découvert que parmi ces «chômeurs» convertis dans cette activité, il y en avait qui avaient bénéficié de crédits via l'Agence nationale de soutien à l'emploi de jeune (Ansej) ou des autres dispositifs d'emploi des jeunes, ce qui les a automatiquement disqualifiés de l'opération. Près de 80 cases ont été attribuées à ces vendeurs avec l'engagement d'établir un registre de commerce dans les 6 mois qui suivent sous peine d'en être expulsés. Une exonération d'impôts pour une durée déterminée a été accordée à ceux-ci, le temps de se conformer à la réglementation régissant le code du commerce. L'opération s'est déroulée dans de bonnes conditions, en présence des forces de sécurité mobilisées à l'occasion et il n'y a pas eu d'incidents majeurs sauf peut-être quelques réclamations et protestations contenues sur place. Les quartiers visés ont retrouvé ces espaces qui avaient été squattés pendant des années, des espaces nettoyés et rendus aux citoyens qui désormais peuvent y circuler librement sans avoir à contourner des étals et des amoncellements d'ordures à l'origine de beaucoup de désagréments. Ces décisions des autorités qui avaient été exécutées avec brio et que tout le monde salue car étant des actions de salubrité publique sur tous les plans, restent cependant limitées dans le temps et dans l'espace. «Nous sommes heureux que le maire et les élus aient pris ces mesures pour nettoyer le quartier, nous dit un vieil habitant de «La Colonne», c'est bien tout cela, mais attendons de voir ce qui se passera d'ici quelques semaines. Il y aura certainement d'autres qui viendront s'installer et on laissera faire jusqu'à la prochaine campagne et ainsi de suite ; cela ne règle donc pas le problème, on ne fait que le déplacer dans le temps. Il faudrait que cette action soit continue et suivie par d'autres qui viseront à empêcher tout nouveau commerçant de s'installer sur les lieux pour faire la même chose et ne pas attendre que les lieux soient à nouveau squattés pendant des mois avant d'entreprendre une nouvelle action. Vous verrez aussi qu'autour du nouveau marché, il y aura des commerces illicites comme c'est le cas du marché El Hattab et donc le problème ne réside pas essentiellement dans le déficit en marchés de proximité mais il est surtout dans l'application stricte de la loi pour interdire toute activité commerciale illicite sur la voie publique. Et là, le problème de l'informel serait plus ou moins réglé.» Un autre appréciera l'opération tout en expliquant, également, que ces mesures ne feront pas long feu. «Ces jeunes vendeurs sont pour la plupart des chômeurs depuis des années, c'est le seul moyen qu'ils ont trouvé pour gagner leur vie et donc c'est contraints et forcés qu'ils exercent ce métier. On en a transféré aujourd'hui une centaine, d'autres arriveront plus tard et feront la même chose, et tant que le fond du problème n'est pas traité, la situation évoluera en dents de scie», nous confie-t-il. Même son de cloche chez un habitant d'Oued Forcha, qui, tout en saluant cette opération d'éradication des marchés informels, soulignera son caractère conjoncturel, alors qu'elle devrait être dotée de tous les moyens pour s'inscrire dans le long terme. Louant cette décision et son exécution, il dira qu'il considère que cela participe du nettoyage de la ville qui en a grandement besoin sur tous les plans. «Il est vrai que ces vendeurs rendaient service de par leur proximité, cela nous évite de faire des kilomètres pour aller au marché avec tous les aléas du transport et les dépenses en plus, mais le service rendu on le paye par la saleté et la laideur qui se dégagent de ces étals, un prix fort sur lequel on a fermé les yeux pendant des années. Pour moi, c'est un problème de planification, car ces vendeurs ne sont pas venus s'installer par hasard, il n'y a pas de marché dans notre quartier et donc ils sont venus combler ce vide en offrant ce service. Pour confirmer ce que je dis vous n'avez qu'à faire un tour dans les nouvelles cités construites et vous vous apercevrez qu'on n'a pas prévu de centres commerciaux, de marchés, d'antennes d'état civil, de poste, c'est tout juste si on a implanté des commissariats de proximité», nous explique-t-il. M. R.