La volonté affichée par un certain nombre de pays occidentaux et l'activisme de pays sous-traitants tels le Qatar, UAE, l'Egypte et la Turquie, d'intervenir militairement en Lybie contre officiellement DAESH, augurent de perspectives sombres, pour ce pays miné par des déchirements tribaux qui l'éloignent de plus en plus d'un retour à la normale. Nous sommes tentés et normalement tenus à une position enthousiaste à l'annonce d'un consensus sur l'établissement d'un gouvernement provisoire libyen. Néanmoins, si comme il se fait l'écho, ce gouvernement n'a d'autre objectif que de légitimer une intervention étrangère, il nous est permis d'émettre des doutes quant aux réelles motivations, qui sous-tendent la précipitation des uns et des autres à un accord insuffisamment maturé, ne serait-ce a minima pour constituer de base à la reconstruction d'un véritable état. Comme n'ont pas manqué de le relever de nombreux observateurs de la scène internationale, «l'accord» comporte deux défauts majeurs : - L'insuffisante représentativité des signataires ; - L'urgence de sa conclusion, sans doute sous la pression et la contrainte des pays occidentaux, officiellement pour permettre une intervention contre l'Etat islamique. La mise à l'écart de la Russie et de la Chine lors de la précédente aventure en Lybie, va du fait du véto probable de ces pays au Conseil de Sécurité, amener le nouveau gouvernement libyen à solliciter l'intervention de l'OTAN. Une telle intervention dans un contexte explosif marqué par des divisions tribales internes, un pays, la Tunisie, fragilisé, des voisins dont notamment le Mali, instables, le retour pour certains et l'afflux d'autres combattants de DAESH et de tout ce compte l'internationale islamiste combattante, va à l'évidence conduire à établir en Lybie une situation de chaos avec des effets métastatiques sur tous les pays de la région. Ce conflit contribuera à raviver des tensions et des combats dans les pays limitrophes (Tunisie, Algérie, Mali, Tchad, Egypte,…), et donnera à tous les déçus et exclus par ailleurs une nouvelle destination de combat. Il est ainsi rapporté un déplacement de combattants de DAESH de la Syrie-Irak vers la Lybie en raison des interventions des forces coalisées (les forces de l'EI en Lybie seraient au nombre de 5 000 combattants selon certaines sources), ce qui n'augure rien de bon, et vient compliquer une situation déjà délétère aux multiples rebondissements et donnant une image d'un pays éclaté. L'importance des ressources énergétiques du pays dont les réserves de pétrole prouvées seraient de 48 milliards de barils (par comparaison, les réserves de l'Algérie sont de 10 milliards de barils), attise les convoitises, et annonce certainement une période de turbulence longue qui dépassera la seule Lybie, avec comme point d'interrogation la position de la Chine et de la Russie. S'il est permis de douter des objectifs réels de l'intervention occidentale, en revanche qu'y a-t-il à proposer comme autre alternative, devant un pays à feu et à sang ? Que peut-on attendre de l'UA, de la Ligue arabe,… ? Pourquoi cette précipitation à concocter un accord qui ne prend pas en compte les forces profondes du pays ? L'initiative algérienne, avec l'aide d'autres parties influentes, sous l'égide de l'ONU, aurait pu, si elle n'avait été court-circuitée à dessein, poser les bases d'un accord consensuel global intégrant l'ensemble des parties représentatives, et ce compte tenu de sa connaissance des arcanes libyennes et de la complexité des relations tribales, qui appellent un véritable travail de fond et la construction d'un consensus le plus large possible, et donc ayant le plus de chance d'aboutir. La manière avec laquelle un accord a été établi mettant hors-jeu l'Algérie laisse planer un doute quant aux errements de la politique internationale, qui laisse transparaitre une espèce de concussion entre l'ONU et les monarchies du Golfe, sous la bienveillance occidentale. A l'évidence, le «consensus» obtenu à marche forcée semble obéir à un autre calendrier et à d'autres desseins que celui affiché, et qui risque d'embraser toute la région du Nord de l'Afrique, avec comme effets collatéraux directs les pays du SAHEL, mais pas seulement. - A Tripoli, une assemblée dominée par les Frères musulmans, soutenus par les milices de Misrata (Fajr Lybia) et avec l'appui politique, logistique et financier du Qatar et de la Turquie ; - A Tobrouk, une assemblée modérée, libérale (soutenue par les militaires libyens), reconnue par la communauté internationale et appuyée par l'Egypte et les Emirats Arabes Unis. Il s'agit en fait, d'une lutte entre les nouvelles élites issues de la révolution (Tripoli), et celles anciennes basées à Tobrouk. Au-delà de cette confrontation, viennent se greffer : - Les populations du Sud (Touarègues, Toubous), région de grands trafics de tous genres (armes, migrants, drogues), qui reprochent à Tripoli de les marginaliser et de les ignorer ; - Les mouvements fortement armés de ces régions sont une source de profonde inquiétude pour les pays du SAHEL (Tchad, Niger, Mali, …), qui joignent leurs voix à celles réclamant une intervention militaire étrangère ; - Les djihadistes d'Al-Qaïda à cheval entre plusieurs pays (Mali, Tchad, Niger, Algérie), toujours actifs, tant il est difficile à toute armée de contrôler des immensités désertiques ; - Depuis la fin 2014, l'Etat islamique qui contrôle déjà une partie de Syrte et son pétrole et qui semblent se renforcer avec des mouvements de combattants en provenance, mais pas seulement, des foyers de tension de Syrie et d'Irak ; - L'organisation de la société sous une forme tribale prononcée et l'absence d'un pouvoir central fédération. L'Algérie, de par l'importance de sa frontière avec la Lybie (1 000 kms), sera le premier pays impacté en cas d'intervention militaire étrangère. Au mieux, l'Algérie devra faire face à un afflux massif de personnes voulant fuir la guerre, à l'image de qui est observé en Turquie et en Jordanie. Ainsi, il s'agit de se préparer à recevoir des dizaines, des milliers, de réfugiés, avec ce que cela suppose comme moyens logistiques, administratifs, sanitaires, financiers et sécuritaires. Une extension du conflit est par ailleurs à craindre sur les zones frontalières, qui restent assez poreuses et difficilement contrôlables en dépit des moyens aériens et terrestres mobilisés par l'Algérie, et ce du fait même de l'immensité des espaces et des accointances tribales possibles, à cheval sur les frontières. La peur de l'extension du conflit à l'Algérie est d'autant plus vivace qu'elle concerne des zones proches des sites gaziers, principales ressources du pays. Dans tous les cas, l'Algérie a du souci à se faire et devrait continuer à se mobiliser, pour éviter un scénario catastrophe, surtout que la tendance à la baisse des prix des produits pétroliers impacte de manière frontale son économie. Dans cette situation, il sera difficile de maintenir les équilibres généraux et encore moins de poursuivre sa politique volontariste de subventions, risquant ainsi d'alimenter la contestation sociale. Enfin, l'évolution de la situation des conflits dans la zone MENA qui touche un certain nombre de pays dits, de l'ex front du refus (Libye, Irak, Algérie, Sud-Yémen, Syrie, Organisation de Libération de la Palestine), interpelle pour le moins et conduit à faire le lien avec le prétendu «Projet» de GMO, qui vise à établir un nouvel ordre, via la menace DAESH, avec le soutien des monarchies du Golfe et de la Turquie, et l'alibi de l'appel à l'aide de gouvernements fantoches asservis (exemple les rebelles syriens, le «président» yéménite, probablement le futur gouvernement libyen,…). Dans tous les cas, les déclarations des Etats Unis, de la France et de l'Italie au sujet de préparatifs avancés d'une intervention imminente en Lybie, dans un cadre coalisé, annoncent des jours sombres pour l'ensemble de la région. Ainsi, si les USA annoncent considérer une intervention en Lybie, l'Italie, ex puissance coloniale, se dit, elle, prête à mobiliser une force de 5 000 hommes, et l'Egypte qui a déjà effectué des frappes aériennes par le passé, se déclare prête à participer à des actions contre ce pays, sans compter les déclarations régulières de la France, qui ne cesse de confirmer sa politique interventionniste. Cette intervention hasardeuse qui n'aura d'autre effet que d'aggraver les violences entre les factions et autres groupes armés, et d'accabler des populations civiles meurtries, car insuffisamment maturées, va conduire à une période de turbulences de toute la zone, et cela sur une longue durée. Cette agitation et ces bruits de bottes similaires à ce qui a été observé en Syrie et l'annonce de découvertes quasi-quotidienne de caches d'armes et de saisies d'armes de guerre dans le Sud algérien, ont de quoi interpeller sur les dangers qui guettent l'Algérie. S'il est à l'évidence nécessaire d'intenter une action armée contre l'EI par voie aérienne et via des forces spéciales, pour ralentir et amoindrir la progression des groupes armées, la réussite d'un tel plan doit d'abord intervenir sous l'égide de l'ONU et reposer sur un programme de normalisation, intégrant les forces véritablement représentatives de la population libyenne. A défaut, on se dirige tout droit vers un «remake» de ce qui continue de perdurer au Moyen-Orient. Pour notre pays, il est important aujourd'hui d'en prendre la pleine mesure, pour ne pas être pris en défaut et d'essayer au plan interne, et au-delà de toute divergence, de transcender tous les clivages, afin de construire au plan national un consensus fort, voire une ligne de conduite, face à un danger lattent, voire imminent. Au-delà des préparatifs militaires et sécuritaires indispensables, il n'est pas prématuré du tout d'appeler à un dialogue, voire à des actions de coordination, entre toutes les forces vives du pays, au risque d'avoir à gérer dans l'urgence et la confusion, une situation dont les dangers et les répercussions ne sont pas maitrisables. A. K.