Fragmentaire, peu implantée et sans projet politique solide, l'opposition algérienne d'aujourd'hui donne le sentiment d'attendre Godot dans le Désert des Tartares. Le Désert des Tartares, c'est bien ce célèbre roman de Dino Buzzati. Fiction philosophique qui traite de la fuite stérile du temps, de l'attente vaine et de l'échec patent. Le tout, sur fond d'un vieux fort militaire isolé à la frontière de deux territoires séparés par un désert insondable. De nos jours, l'opposition attend pour mieux se plaindre de son sort. Atone et aphone, elle se plait tant dans sa position de victime perpétuelle. Espère que le pouvoir lui cède des espaces de liberté qu'elle est censée conquérir laborieusement. En acceptant, pour y parvenir, de recevoir des coups. Mais les démocrates autoproclamés, les nationalistes affirmés, les libéraux friqués, les islamistes dystopiques et les facebookers illusionnés, refusent de souffrir au quotidien. Leur arme de lutte privilégiée : le communiqué où la plainte qui devient complainte. Ils n'agissent pas, ils réagissent. Par communiqué, par post ou par tweet sur les réseaux sociaux. Et ils attendent souvent que le pouvoir agisse ou dise pour commenter, c'est-à-dire éreinter et en dire tout le temps du mal, par principe. Une opposition qui confine au psittacisme et vire à l'oppositionnisme. Et qui pense toujours pis que pendre des idées et des initiatives du pouvoir mais ses idées à elle, elle les étale et les défend rarement. Car les idées alternatives, en dehors de la critique systématique, l'opposition n'en a pas beaucoup. Et pourtant, il fut un temps où sous le régime du parti unique, l'opposition avait des idées, des dirigeants d'envergure, des cadres de valeur et des troupes. Cette opposition issue essentiellement du Mouvement national, a pour cellule souche le PPA-MTLD, père géniteur du FLN. Mais sa naissance réelle se réalisera au forceps, à la faveur de la crise de légitimité de 1963. Sous Boumediene et Chadli, elle sera brimée et réprimée. L'installation de Ben Bella au pouvoir sur la tourelle d'un char militaire, provoquera la crise au sein du FLN. Les vaincus, principalement Mohamed Boudiaf et Hocine Aït Ahmed, créeront alors le Parti de la révolution socialiste (PRS) et le Front des forces socialistes (FFS). Tandis que le Parti communiste algérien (PCA) est interdit dès novembre 1962, les messalistes, Mouvement national algérien et Parti du peuple algérien, perdaient toute influence. Mais, en fait, la première tentative d'opposition fut le CLDR, éphémère Comité de liaison et de défense de la Révolution, créé par Krim Belkacem et Mohamed Boudiaf. Autre tentative momentanée, l'UDRS, Union pour la défense de la révolution socialiste, lancée en mai 1963. Suivie par le CNDR, Conseil national de défense de la Révolution, en 1964, animé par Boudiaf, Aït Ahmed et le colonel Chaâbani. Après le putsch du 19 juin 1965, d'anciens partisans de Ben Bella, le PCA et la gauche du FLN, avec Mohamed Harbi et Hocine Zahouane, créent l'ORP, l'Organisation de la résistance populaire. Ensuite, ce sera l'OCRA, Organisation clandestine de la Révolution algérienne, disparue en 1968. A la même date sera lancé le RUR, le Rassemblement unitaire et révolutionnaire de Mohamed Boudia alors que Krim Belkacem avait déjà lancé en 1967 le Mouvement démocratique pour la défense de la Révolution algérienne (MDRA). Pendant que le PAGS communiste se rapprochait de Boumediene, la gauche de la gauche, dès 1974, se réunit au sein du CTA, le Comité des travailleurs algériens. Les trotskystes se regrouperont après au sein du Groupe des combattants révolutionnaires (GCR) et dans l'Organisation socialiste du travail (OST). Il y eut aussi El Oumami, branche algérienne du PCI internationaliste, dirigé par les futurs djihadistes Abderrezak Redjam et Saïd Mekhloufi. Les années 1980 seront propices à la création du GDSA, la Gauche démocratique et socialiste de Mohamed Harbi, le MDA de Ben Bella et de ligues des droits de l'Homme, ainsi que des mouvements islamistes clandestins. Les années 1990 seront celles de la floraison partisane sans démocratie réelle, de l'autoritarisme musclé au pouvoir et du terrorisme nihiliste et sanguinaire. Des partis sans bases et sans programmes et des partis du pouvoir sans pouvoir réel. Et un pouvoir en perpétuel renouvellement et sans opposition réelle. C'est toujours le cas. N. K.