L'affaire embarrassante du Hezbollah au sein de la Ligue arabe aura finalement définitivement fait dériver cette instance déjà mal en point vers des postures absolument calamiteuses. Celle d'un «machin» qui non seulement ne représente plus les aspirations des peuples arabes et leur idéaux d'indépendance, mais leur impose des trahisons de principes. Le Hezbollah parti politique libanais actuellement actif dans le gouvernement de ce pays avait mené farouchement la résistance contre l'ennemi israélien en 2006. Moins de dix ans après, ce mouvement est qualifié de «terroriste» par une partie de ses pairs arabes. Un retournement de situation désastreux et symptomatique d'une compromission augurant d'inquiétants lendemains L'affaire de la Ligue arabe qui a classé le mouvement libanais Hezbollah, «organisation terroriste» restera probablement comme une des taches noires de l'histoire de cette organisation panarabe qui n'ose plus même aujourd'hui condamner la répression israélienne visant les Palestiniens dans les territoires occupés. Après avoir exclue la Syrie, membre fondateur de cette instance, les tirs de barrage se concentrent de plus en plus exclusivement contre un seul acteur : l'Iran. Aujourd'hui en chargeant violement un parti politique du Liban, l'instance met dans l'embarras les Etats membres. L'Algérie, l'Irak et le Liban, directement concernés, ont refusé de suivre cette étrange dérive. Sur un ton très diplomatique, qui a la qualité de la clarté, le représentant algérien a fait valoir que la décision n'est pas conforme à la légalité internationale et que les résolutions onusiennes et les listes des organisations terroristes établies par l'ONU «n'incluent pas les composantes politiques reconnues aux niveaux national et international et présentes sur la scène sociopolitique nationale». Ainsi l'Algérie n'a pas validé cette décision prise déjà par le CCG (Conseil de coopération de pays du golfe). Alger aura vite fait de lever l'équivoque entretenue selon laquelle le Liban et l'Irak ont émis «des réserves» et l'Algérie seulement des «remarques». En fait, il ne s'agit pas d'une simple remarque, mais d'un refus clair d'endosser une mesure de nature à mettre la pression sur un Etat, le Liban, autour d'une de ses principales composantes. L'Algérie, pays à dominante sunnite, a toujours refusé de se laisser impliquer dans les clivages sectaires entretenus par les pays du Golfe visant l'Iran. Les pressions sont allées crescendo. Le Liban est sommé, sous peine de sanction, d'entrer en guerre contre le Hezbollah. Un contrat d'armement pour l'armée libanaise est rapidement annulé, la destination libanaise est boycottée avec l'injonction aux Saoudiens de quitter ce pays. Les Libanais, nombreux, travaillant dans les pays du Golfe sont menacés de représailles s'ils sont soupçonnés d'avoir une quelconque sympathie avec ce parti. La gravité d'une telle tension semble ne pas avoir été mesurée par ces promoteurs. Jouer sur la division entre Libanais pourrait faire exploser un pays qui a déjà connu une guerre civile dévastatrice. Il est évident que Riyad mène aujourd'hui une politique plus agressive avec une intervention directe au Yémen et une posture dure dans la tragédie syrienne. Riyad cherche, selon certains analystes, à pousser le Liban vers le clash et met la pression sur ses alliés traditionnels au Liban pour en découdre avec le Hezbollah. Les pressions de plus en plus fortes sont assimilées par une bonne partie des Libanais à un véritable «chantage». Une situation qui frise l'humiliation. D'autant plus que les fragiles équilibres libanais négociés justement en Arabie saoudite, à travers les accords de Taëf, risquent de voler en éclat. L'insistance répétée de l'Algérie sur le fait que le statut particulier du Hezbollah au Liban est une affaire interne voudrait rappeler la dangerosité d'une telle démarche pour l'avenir de ce pays et de la région. La politique directe de Riyad En Syrie, Riyad soutient de façon franche les rebelles face à Damas, et au Yémen, le royaume saoudien est intervenu directement pour contrer les rebelles Houthis considérés comme soutenus par l'Iran. La posture anti-iranienne est de plus en plus prononcée. Téhéran est accusé de visées déstabilisatrices dans le monde arabe. Début janvier la tension est montée d'un cran avec le saccage de l'ambassade saoudienne à Téhéran par une foule en colère, en représailles à l'exécution du dignitaire chiite saoudien Nimr al-Nimr, une figure de l'opposition en Arabie saoudite. Riyad et Manama rompent leurs relations diplomatiques avec Téhéran. Les Emirats arabes unis décident de les réduire. Le Koweït rappelle son ambassadeur à Téhéran. Il y a comme un changement dans l'air. La tradition de prudence de l'Arabie saoudite qui agissait souvent par le biais d'autres acteurs semble abandonnée en faveur d'une politique agressive d'implication directe dans les conflits, avec les risques qui s'imposent. Le retour de l'Iran dans le jeu international après la levée des sanctions et la signature d'un accord avec les Occidentaux, semble être vécu comme une «trahison» de la part de l'allié américain. Cette nouvelle donne semble avoir provoqué un état d'anxiété général dans la région. L'Arabie saoudite a donc décidé de changer de posture. Mohamed ben Salmane prince héritier supléant et fils du roi applique une politique différente de ses prédécesseurs. A suivre les puissants médias saoudiens à travers le monde il est aisé de constater la tendance voulue par le Royaume. Le puissant ministre de l'Intérieur lance une alliance militaire sunnite de 34 pays, qui met dans l'embarras certains pays. L'Algérie, ce n'est guère une surprise, refuse d'en faire partie. Cette espèce d'«Otan sunnite» est promptement suivie d'une jonction qui rappelle les faucons de la Maison-Blanche de l'époque de George Bush : «Qui n'est pas avec nous est contre nous». Il est évident que l'obsession iranienne est devenue la hantise des pays du Golfe qui veulent l'imposer aux autres pays considérés comme faisant partie de «la sphère sunnite». Jamais Israël qui colonise les terres des Palestiniens, occupe le Golan syrien et foule aux pieds la légalité internationale n'a été autant tranquille. M. B.