L'exécution samedi en Arabie saoudite du cheikh saoudien chiite Nimr Baqer Al-Nimr, un opposant notoire du pouvoir à Riyad, a suscité de violentes critiques de l'Iran, mais aussi des manifestations lors desquelles l'ambassade saoudienne à Téhéran a été incendiée et le consulat saoudien, attaqué dans la ville de Machhad. La tension entre les deux pays s'est muée en véritable crise diplomatique. En réaction, les autorités de Riyad ont décidé de rompre leurs relations avec Téhéran accentuant une crise qui pourrait rapidement dégénérer tant les deux protagonistes sont déjà sur des postures guerrières. «Ce n'est plus aujourd'hui seulement Téhéran qui montre ses muscles. Riyad, aussi, exhibe les siens. Et elle ose le faire sans l'appui des Etats-Unis», estiment des spécialistes occidentaux pour qui c'est l'heure des faucons en Arabie saoudite. Riyad semble en effet opter depuis quelques temps pour une stratégie plus offensive dans son traitement des questions régionales. Riyad a qui l'on a longtemps reproché de s'armer massivement à coups de millions de dollars pour un usage minimal semble aujourd'hui user directement de son potentiel militaire. Cependant, ce face-à-face met dans la gêne Washington. Les Etats-Unis semblent, en effet, embarrassés face à cette crise entre deux Etats avec lesquels Washington entretient des relations «spéciales». Les Etats-Unis disposent de bases militaires sur le sol même de l'Arabie saoudite et ont toujours constitué un bouclier pour protéger le Royaume. Cependant la signature récente d'un accord historique sur le nucléaire avec l'Iran qui induit une relance des relations entre les deux ex-ennemies met déjà Washington face à ses engagements. Obsession iranienne Cette évolution notable dans les relations entre les Etats-Unis et l'Iran n'a jamais été du goût de l'Arabie saoudite. Pour Riyad, l'accord sur le nucléaire avec l'Iran aura été une très mauvaise nouvelle. Il aura fait éloigner la perspective d'une guerre américaine contre l'Iran qu'elle souhaitait tout comme Israël. Il y a également comme un parfum de revanche dans l'exécution du cheikh Baqer Al-Nimr, 10 jours après la liquidation du chef rebelle syrien Zahrane Allouche, près de Damas. Chef du groupe «l'armée de l'islam», financée et appuyée par Riyad, Allouch était considéré comme un homme clé des Saoudiens dans la guerre civile syrienne. C'est bien sur le théâtre de guerre syrien et irakien que les conséquences d'un durcissement de la crise entre les deux pays risquent d'être les plus lourdes, jugent les observateurs. Certains analystes préviennent que «si l'Iran et l'Arabie saoudite ne collaborent pas contre Daech, forcément, c'est Daech qui va en profiter». Un autre acteur et non des moindres est aussi dans la posture du spectateur encourageant. Israël a intérêt à faire fructifier ce clivage qui ne ferait qu'affaiblir des adversaires potentiels et détourner l'attention internationale sur ses dérives dans les territoires occupés. La crise exacerbée entre Riyad et Téhéran déjà dans l'air du temps depuis des années était aisément perceptible dans les médias notamment sur les puissantes chaînes satellitaires des pays du Golfe. L'animosité entre les deux pays est également notable dans plusieurs points chauds de la région comme le Liban, l'Irak, le Yémen et bien sur le complexe théâtre syrien. En exécutant Baqer Al-Nimr, les autorités saoudiennes n'ignoraient pas que la décapitation d'un religieux dont le seul tort était de s'exprimer ouvertement sur l'injustice que subit sa communauté pouvait faire embraser la situation. «L'Arabie sunnite ne semble motivée que par sa guerre de religion contre l'islam chiite», estiment des observateurs. Sur la scène syrienne, le régime de Bachar al-Assad n'est pas tombé grâce notamment au soutien de Téhéran et de Moscou. Insupportable pour Riyad d'autant plus que les occidentaux ont cessé de faire du départ du président syrien une priorité et encore moins un préalable. C'est un investissement politique important et un engagement en ressources sans résultat tangible, alors qu'en Irak, l'influence iranienne est devenue une réalité avec laquelle il faudrait désormais compter. Dans un Moyen-Orient explosif, se déroule aujourd'hui un jeu d'une extrême dangerosité. En quelques décennies la «fitna» confessionnelle aura été rallumée. La «menace chiite» est devenue une prop gande soutenue même dans les pays où le chiisme n'existe pas. M. B.