Dans le jardin d'un médecin de province, un immense complexe secret conçu comme un abri antiatomique hébergeait 15 milliards de deutschemarks. Il se visite. Le petit village de Cochem (voir photo), au bord de la Moselle, dans le Land de Rhénanie-Palatinat, abritait le coffre-fort de la Bundesbank. Ce lieu semble tout droit sorti d'un film d'espionnage. Construit à trente mètres de profondeur dans le jardin d'un médecin de province à Cochem, dans la vallée de la Moselle, ce bunker a abrité pendant plus de deux décennies le trésor caché de la Bundesbank. Effrayée de voir la RDA déverser des montagnes de faux billets dans le pays, inquiète des conséquences d'un possible conflit armé entre l'Est et l'Ouest, la Banque centrale allemande a gardé dans ce complexe près de 15 milliards de Deutschemarks. Les villageois savaient que ce lieu devait cacher quelque chose d'important. Pendant deux longues années, de 6 heures à 22 heures, des ouvriers ont creusé et ont coulé 3 000 mètres cubes de béton derrière la piscine du cabinet du docteur Dreesen. Mais personne ne s'est jamais douté que Berlin a dissimulé de 1964 à 1988, dans ce coin tranquille, des piles de petites coupures soigneusement étiquetées. Ce bunker ô combien secret, qui ressemble à un énorme abri antiatomique (les ingénieurs avaient calculé que ce coffre-fort souterrain pouvait résister à l'explosion d'une bombe nucléaire), a récemment été transformé en musée. Jusqu'au 31 octobre, les curieux pourront participer à une visite guidée d'une heure dans les nombreuses salles aux murs épais dans lesquelles la température est toujours de 10 °C. Les imposantes portes blindées rappellent celles des banques. Après avoir descendu les marches d'un interminable escalier en colimaçon, les visiteurs traversent une petite cantine, une cuisine, des toilettes, un dortoir, des bureaux et une salle de téléphonie et de télécommunication qui permettait aux gardiens d'être reliés «à la surface». Une pièce de «décontamination» contient toujours les combinaisons que les employés étaient supposés enfiler en cas d'attaque nucléaire. Une armoire contenait même des «body bags» pour conserver les corps d'éventuelles victimes. Les pieds des chaises et le dessous des meubles étaient, quant à eux, protégés de caoutchouc pour ne pas abîmer le sol au cas où l'explosion d'une bombe A ou H aurait fait trembler l'ensemble du complexe. Vestige de la guerre froide Peu de gens au siège de la Bundesbank, à Francfort, connaissaient l'existence de ce lieu de 1 500 mètres carrés dans lequel 175 personnes étaient supposées pouvoir vivre en autarcie pendant deux semaines. Deux moteurs diesel et une réserve de 75 000 litres de fuel rendaient le lieu autonome en énergie. Pour éviter tout cambriolage, des capteurs avaient été installés dans les murs et les portes. Très sensibles, ils n'ont cessé de déclencher des alarmes dans le poste de police du village. Obligés de se déplacer, les agents des forces de l'ordre s'entendaient dire à chaque fois à l'entrée du bunker qu'il s'agissait d'une fausse alerte. Le commissaire local n'a jamais su ce que cachait ce lieu. Au fil des années, la Bundesbank a toutefois compris qu'elle n'avait plus besoin de garder autant de liquidités. La Volksbank a alors repris possession de ce complexe pour abriter les espèces de ses clients. Ce coffre-fort, son jardin et ses deux appartements donnant sur une rue calme ont finalement été vendus en 2014 pour moins de 500 000 euros à Manfred Reuter, un entrepreneur local qui possède une compagnie d'autobus. Le Fort Knox allemand est depuis devenu un vestige de la guerre froide pour les amateurs d'histoire contemporaine. Frédéric Therin, in Le Point.fr