Une enquête planétaire réalisée par plus de 100 journaux, à travers la consultation de quelque 11,5 millions de documents, a révélé, dimanche dernier, des avoirs dans les paradis fiscaux de 140 responsables politiques ou personnalités de premier plan, parmi lesquels le cercle rapproché du président russe, Vladimir Poutine, et les footballeurs Michel Platini et Lionel Messi. Des sociétés liées à la famille président chinois Xi Jinping, qui affiche volontiers sa détermination à combattre la corruption, apparaissent également dans les documents examinés par les journalistes, tout comme le président ukrainien Petro Porochenko. Intitulée «Panama Papers», l'enquête rend publique l'identité des clients de Mossack Fonseca, une firme panaméenne chargée de créer et domicilier des sociétés basées dans des paradis fiscaux. Ces données proviennent des archives, entre 1977 et 2015, de ce cabinet d'avocats. Des données obtenues d'abord par le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung. Le Consortium international des journalistes d'investigation (Icij) a ensuite réparti le travail d'exploitation, qui a duré environ un an, entre les publications membres. L'Icij précise sur son site internet que 370 journalistes de plus de 70 pays y ont participé. Plus de 214 000 entités offshore sont impliquées dans les opérations financières dans plus de 200 pays et territoires à travers le monde, précise encore le consortium. Le recours aux sociétés offshore, outils privilégiés de l'évasion fiscale, est une pratique autorisée dans la plupart des pays du monde. Parmi les personnalités mentionnées dans les millions de documents figurent notamment des proches du président russe, Vladimir Poutine, qui auraient détourné jusqu'à 2 milliards de dollars avec l'aide de banques et de sociétés écrans, selon l'Icij. «Des associés de Poutine ont falsifié des paiements, antidaté des documents et obtenu de l'influence occulte auprès des médias et de l'industrie automobile russes», détaille le consortium sur son site internet. Le roi d'Arabie saoudite, Salmane ben Abdelaziz Al Saoud, le président des Emirats arabes unis et émir d'Abou Dhabi, Cheikh Khalifa ben Zayed Al Nahyane, l'ancien émir du Qatar, Cheikh Hamad ben Khalifa al-Thani, ainsi que des cousins du président syrien Bachar al-Assad sont également mentionnés. Le site du collectif de journalistes propose pour chacun d'entre eux une fiche explicative sur les raisons de leur présence au sein de cette liste. Des responsables africains sont également cités, même si aucun chef d'Etat en exercice ne l'est personnellement. Seul l'ancien président soudanais, Amad Ali al-Mirghani, décédé en 2008, détenait des avoirs dans un paradis fiscal. Des proches de présidents en exercice le sont en revanche. Parmi eux, on compte Clive Khulubuse Zuma, le neveu du président sud-africain Jacob Zuma, Mamadie Touré, Mounir Majidi, le secrétaire particulier du roi du Maroc, Alaa Moubarak mais aussi le fils aîné de l'ancien président égyptien. Parmi les responsables politiques africains mentionnés figurent le ministre de l'Industrie et des Mines, Abdeslam Bouchouareb, Jaynet Désirée Kabila Kyungu (députée et sœur jumelle du président de la RDC, Joseph Kabila), José Maria Botelho de Vasconcelos (ministre angolais du Pétrole)… «Les documents montrent que les banques, les cabinets d'avocats et autres acteurs opérant dans les paradis fiscaux oublient souvent leur obligation légale de vérifier que leurs clients ne sont pas impliqués dans des entreprises criminelles», affirme l'Icij. «Cette fuite sera probablement le plus grand coup jamais porté aux paradis fiscaux à cause de l'étendue des documents» recueillis, estime Gérard Rylé, le directeur de l'Icij cité par la BBC. Le monde du football, déjà ébranlé ces derniers mois par plusieurs scandales touchant les dirigeants de la Fifa, n'est pas épargné : quatre des 16 dirigeants de la fédération internationale auraient ainsi utilisé des sociétés offshore créées par Mossack Fonseca. Les documents du cabinet d'avocats font aussi apparaître les noms d'une vingtaine de joueurs vedettes, évoluant notamment à Barcelone, au Real Madrid ou encore au Manchester United. Parmi eux le multiple ballon d'or Lionel Messi. Outre le football, d'autres sports, comme le hockey et le golf, sont également concernés, ajoute l'Icij. Les révélations, qui couvrent une période de près de 40 ans, allant de 1977 à 2015, mentionnent encore des affaires réalisées dans les paradis fiscaux par le père, aujourd'hui décédé, de l'actuel Premier ministre britannique David Cameron. «La plus grande fuite de l'histoire du journalisme vient de voir le jour, et elle concerne la corruption», a commenté Edward Snowden, principal lanceur d'alerte sur les activités du renseignement américain. B. A./Agences A propos de l'ICIJ Le Consortium international des journalistes d'investigation (Icij), qui a coordonné l'opération «Panama Papers» est un collectif de journalistes, auteurs d'enquêtes retentissantes sur les paradis fiscaux. Basée à Washington, l'organisation regroupe 190 journalistes originaires de plus de 65 pays. Fondé en 1997 par le journaliste américain Charles Chuck Lewis, l'Icij est une ONG qui coordonne des enquêtes transfrontalières couvrant des domaines tels que la corruption, les activités criminelles internationales et l'évasion fiscale. Dirigée par le journaliste australien Gerard Ryle, l'équipe est assistée par des avocats et des experts, et fournit des données en temps réel à la presse dans le monde entier. Organisation à but non lucratif, l'Icij est financé par des dons émanant de fondations caritatives et du privé, indique son site. Parmi les enquêtes les plus retentissantes menées par l'organisation figure l'«Offshore leaks». Plus récemment, en février 2015, le collectif a percé à jour le système d'évasion fiscale orchestré par la filiale suisse de la banque britannique Hsbc, assurant qu'elle avait aidé certains de ses clients à cacher des milliards de dollars pour leur éviter de payer des impôts. Cette enquête, baptisée SwissLeaks, a été réalisée sur la base de fichiers de la banque, volés en 2007 par un ancien employé, et qui contiennent des informations sur plus de 100 000 clients. La société créée par Bouchouareb n'a jamais été active, selon la Compagnie d'études et de conseil La société appartenant à Abdeslam Bouchouareb, ministre de l'Industrie et des Mines, la Royal Arrival Corp, a été créée «à l'initiative» de la Compagnie d'études et de conseil (CEC) «pour gérer son patrimoine privé, mais n'a jamais été active» et «ne possède aucun compte bancaire», a affirmé le CEC, dans un message parvenu à l'APS. La CEC, mandatée pour agir pour le compte de M. Bouchouareb, a confirmé qu'elle est «à l'initiative de la création de la société Royal Arrival Corp dont la constitution s'est faite en toute transparence». Selon la CEC, M. Bouchouareb, «en apprenant nos démarches, a immédiatement demandé de geler (pendant l'exercice de ses mandats publics) toute utilisation de cette société et l'ouverture du compte bancaire à la Nbad Genève n'a, de ce fait, pas été concrétisée». La société «avait pour objet de reprendre et gérer des biens patrimoniaux existants avant l'entrée en fonction de M. Bouchouareb», selon le message signé par le fondé de pouvoir de la Royal Arrival Corp, Guy Feite. La société «n'a donc jamais été active dans aucun pays puisqu'elle n'a pas eu le moindre fonctionnement» et la société «n'a eu aucun compte à la Nbad puisque les formalités d'ouverture ont été annulées», soutient encore la CEC, établie au Luxembourg. Le quotidien français Le Monde, largement repris par les médias algériens, a révélé dans son édition d'hier, que M. Bouchouareb «a détenu une société établie au Panama, Royal Arrival Corp. Elle a été créée en avril 2015 à travers les services de la société de domiciliation d'entreprises offshore Mossack Fonseca». Selon le quotidien français, «dans un courriel adressé le 6 avril 2015 au bureau luxembourgeois de Mossack Fonseca, le Français Guy Feite, fondé de pouvoir de Royal Arrival Corp, confirmait que le bénéficiaire effectif de la société était bien le ministre en fonctions depuis avril 2014, et tentait de rassurer quant à cette «personnalité politiquement exposée». Il a précisé que la raison d'être de Royal Arrival Corp est «la gestion d'un portefeuille de valeurs immobilières d'un montant de 700 000 euros, détenu actuellement à titre personnel».