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«Nous avons été oubliés dans les chalets»
Les sinistrés recasés sur le site de Bourouba interpellent les pouvoirs publics
Publié dans La Tribune le 11 - 02 - 2009


Photo : Shel
Par Rachida Merkouche
Ils sont là encore cet hiver, qu'ils espéraient certainement ne pas passer ici, dans les chalets. Chaque année, à l'approche du froid, ils espèrent. L'été ne les ménage pas non plus, dans ces cubes en bois que le temps a fini par laminer. Posé aux pieds de la cité Bourouba, ce centre de recasement est une provocation à la situation d'insécurité qui règne dans le quartier.
Recasées dans des chalets sur le site de Bourouba pour une durée de 18 mois après un séjour de quelques mois sous des tentes, des familles sinistrées s'y trouvent toujours. Cinq ans après le séisme qui a frappé la capitale et la wilaya de Boumerdès, l'opération de relogement semble avoir omis les occupants qui voient leur chance de quitter ces «baraques» s'amoindrir de jour en jour. Sur les 180 familles installées sur ce site par les autorités, seules 36 ont été relogées. Leur calvaire a pris fin alors que celui des 144 autres se poursuit. Les mois et les années se suivent, sans que vienne l'épilogue qui mettrait fin à leur attente. Comme les 8 autres familles qui y résidaient avant le séisme du 21 mai 2003, la famille Kabri a été ramenée du haouch de Boubsila après un séjour de quelques mois sous des tentes. Classées en zone rouge, les bâtisses ont été vidées de leurs occupants pour être démolies. Le vieux Rabah Kabri ne cache pas sa crainte de s'éteindre ici, lui qui égrène les jours qui passent dans le chalet numéro 151 alors que sous leurs pieds, lui et sa compagne d'infortune, son épouse, le plancher pourrit et craque de toutes parts.
Entre la pièce qui fait office de salle de séjour et le coin cuisine-sanitaires, des bouts de planches cachent un énorme trou laissé par la partie qui a cédé. La vieille femme déclare craindre pour son mari, non-voyant depuis quelques années. «Je dois le surveiller de jour comme de nuit de peur qu'il ne bute sur la plaque et qu'il tombe lorsqu'il se dirige vers les sanitaires.» Le septuagénaire déclare n'avoir jamais pensé qu'un jour il pourrait vivre une telle situation, lui et sa famille. «Mon frère Aliouet et moi avons construit nos logements et à l'avènement de l'indépendance, nous avions terminé les travaux. Nous étions propriétaires du haouch où nous habitions lorsque est intervenue la décision de nous évacuer après le séisme de 2003. J'ai tous les papiers qui le prouvent.»
«Patientez, vous serez bientôt relogés»
Le vieil homme infirme déclare ne pas comprendre comment les siens n'ont pas fait partie des familles relogées. Ses deux enfants, chefs de famille, sont aussi sur le site, avec femmes et enfants. «Pourtant, nous sommes parmi les premiers transférés ici dans ces chalets», souligne-t-il, tandis que sa vieille épouse déplore l'attitude du chef de la daïra d'El Harrach qui la reçoit à chaque fois avec de «sempiternelles promesses». Des phrases telles que «Patientez, vous serez bientôt relogés», elle assure les avoir entendues maintes fois au niveau de la daïra. Le flou semble en tout cas entourer le transfert de toutes ces familles vers les chalets de Bourouba, alors que la décision de démolition de leurs habitations (n° 12 204 délivrée, en 2006, sur la base de la décision n° 2 166 du 7 octobre 2006 signée par le wali d'Alger) n'a jamais été appliquée. Comme si elle espérait qu'un article de presse pouvait les aider à sortir de ce chalet qui s'effrite chaque jour un peu plus et dont le plancher «risque de céder sous [leurs] pas», la vieille femme sort un dossier et demande à son petit-fils d'en extraire les décisions d'évacuation et de démolition des bâtisses du haouch. Tout en défendant la cause de ses grands-parents, le petit-fils, Toufik Ben Bouazza, lâche des bribes de phrases qui en disent long sur le calvaire des siens. «J'habite un chalet avec mes 4 sœurs, mon frère et moi, et à 33 ans, je ne peux me marier ici. Mais, mon vœu le plus cher est que mon grand-père puisse être relogé en priorité en raison de son infirmité et parce qu'il mérite une existence plus décente pour ce qui lui reste à vivre.» Parmi ceux qui partagent le sort du jeune homme, de ses oncles et de ses grands-parents, la famille Djouhri, qui s'est d'abord retrouvée dans une décharge de compostage appelée pompeusement «Michelin», où elle a séjourné «5 mois sous une tente après le séisme de 2003» avant d'être transférée vers le site de Bourouba. «Nous avons été oubliés ici», déplore le chef de famille. «Ils nous ont ramenés pour 18 mois, et nous sommes encore là près de 6 ans après.» Son voisin Yazid soutient que pour les autorités, «le relogement est basé sur des considérations autres que la nécessité», illusion faite aux quelques familles qui ont eu la chance de quitter le site.
«Ni démolition ni restauration»
Selon lui, la situation de certains sinistrés est ambiguë vu que la classification de leurs immeubles a été modifiée, et que le retour chez eux ne se précise pas. «Nous avons eu des décisions de classification de nos immeubles en zone ‘'rouge 5'' avant que beaucoup d'entre nous ne se voient ‘'dégradés'' en zone ‘'orange 4'' mais sans aucun écrit ni décision de retour. Cela signifie que nos habitations n'ont pas été restaurées à ce jour», déplore Yazid, qui affirme compter deux asthmatiques dans sa famille -sa femme et sa fille- à cause de l'humidité dans ces chalets. Sans compter l'insécurité qui règne sur les lieux et dont se plaignent tous les occupants. «Il est impossible pour une femme de sortir à 7 heures du matin sans se faire agresser. Mon épouse en a fait l'expérience à deux reprises, en se rendant à son travail, alors qu'elle n'avait pas encore quitté le site», se plaint Yazid, avant que les autres ne renchérissent. «Nous ne pouvons nous déplacer et rendre visite à nos proches au risque d'être cambriolés, et personne ne vient chez nous par peur des agressions», affirment nos interlocuteurs. «La garde communale ne fait pas de tournées la nuit, alors que le chalet destiné à la police est fermé. Ici, c'est la base de la drogue et l'antre des rats qui s'introduisent dans les chalets, les planchers étant pourris et craquant de toutes parts.» Comme tout recasement profite aussi, inévitablement, à d'indus occupants, le site de Bourouba n'a pas été épargné. L'occasion pour eux de dénoncer «les imposteurs qui ont bénéficié de chalets qu'ils ont vendus».
L'eau courante 24h/24, c'est, selon Yazid, le seul aspect positif de leur séjour qui ne semble pas trouver son aboutissement. Près de 6 années après, le site de Bourouba semble prendre racine, au grand dam de ses occupants qui ne souhaitent qu'une chose : le quitter au plus vite pour un relogement décent. Du côté de la daïra d'El Harrach, la solution se fait toujours attendre.


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