Vendredi, lors du Forum économique de Saint-Pétersbourg, le président Vladimir Poutine a tenu à souligner que «le problème du dopage n'est pas limité à la Russie. Si quelqu'un essaie de politiser cette question, c'est une grande erreur. Le sport, c'est comme la culture, cela sert à rapprocher les peuples. Il ne faut pas essayer de construire une politique anti-russe en utilisant le sport. Au niveau de l'Etat russe, nous avons toujours combattu le dopage et nous continuerons à le faire.» Et M. Poutine de conclure : «La responsabilité ne peut être qu'individuelle, on ne peut pas engager la responsabilité collective de tous les athlètes et punir toute l'équipe de Russie.» Réunie en conseil extraordinaire, vendredi 17 juin à Vienne, la Fédération internationale d'athlétisme (IAAF) a décidé de prolonger la suspension de la Fédération russe d'athlétisme (RUSAF), à moins de deux mois des Jeux olympiques (JO) de Rio de Janeiro (5-21 août), au Brésil. «Les résultats du vote des membres du conseil de l'IAAF ont créé une situation sans précédent : les athlètes russes ne pourront pas participer aux XXXIe JO à Rio, a déploré le ministre russe des Sports, Vitaly Moutko, avant même la conférence de presse de l'IAAF. La décision de l'IAAF était attendue. Nous allons réagir.» «C'est injuste, a aussi réagi le président russe, Vladimir Poutine. Je pars du principe que nous aurons une discussion avec nos collègues de l'Agence antidopage et j'espère une réaction du Comité international olympique (CIO).» Pourtant, malgré les déclarations du ministre, bien malin pour l'instant celui qui peut déjà affirmer avec certitude si la «tsarine» de la perche, Elena Isinbayeva, entre autres, ira à Rio ou non. La double championne olympique et détentrice du record du monde, jamais contrôlée positive au cours de sa carrière, avait affirmé vouloir saisir les tribunaux au cas où l'on voudrait l'empêcher de concourir au Brésil. Mais elle n'aura peut-être pas à utiliser ce recours juridique. Car si l'annonce de l'IAAF assombrit un peu plus l'horizon olympique des athlètes russes, elle ne le bouche pas définitivement. «Ouverture dans la porte» D'abord parce que le décisionnaire final de la participation ou non des athlètes russes aux Jeux de Rio devrait rester le CIO, présidé par l'Allemand Thomas Bach. En effet, l'annonce de l'IAAF concerne les compétitions qu'elle organise. Et le CIO, qui se réunit la semaine prochaine, pourrait bien choisir une autre option : permettre aux athlètes russes «propres» de participer aux JO, plutôt que de privilégier une sanction collective qui augurerait un futur casse-tête juridique et une position compliquée à défendre devant les tribunaux. Sebastian Coe, le président de l'IAAF, a tout de même insisté : «L'éligibilité des athlètes de l'IAAF pour les compétitions internationales relève de l'IAAF.» Mais surtout parce que l'IAAF elle-même laisse une «ouverture dans la porte», qu'elle ne ferme pas complètement. Certains athlètes russes pourraient participer aux JO. Un exercice de contorsionnisme compliqué. «S'il y a des athlètes qui peuvent clairement et de manière convaincante démontrer qu'ils ne sont pas entachés par le système russe parce qu'ils ont été en dehors du pays, et soumis à d'autres systèmes antidopage efficaces, incluant des tests antidopage efficaces, alors ils devraient pouvoir prétendre à concourir aux compétitions internationales, pas pour la Russie mais comme athlètes neutres», a décidé le Conseil de l'IAAF. Dopage institutionnalisé en Russie Une brèche dans laquelle risque de s'engouffrer de nombreux athlètes. Le ministre Moutko a souligné que depuis plusieurs mois, en raison de la suspension de l'agence antidopage russe, «les Russes sont testés par l'Agence anti-dopage du Royaume-Uni (UKAD).» Vendredi, le Norvégien Rune Andersen, président de la commission spéciale de l'IAAF sur la Russie, a présenté un rapport pour savoir si la Fédération russe d'athlétisme répondait désormais aux critères de l'IAAF. La réponse – ce n'est pas une surprise – fut négative. Les membres du conseil de l'IAAF ont donc logiquement décidé de prolonger sa suspension. Toujours vendredi, Richard McLaren, enquêteur indépendant désigné par l'Agence mondiale antidopage, a accusé le ministère russe des Sports d'avoir ordonné au laboratoire antidopage russe de «ne pas publier des résultats de contrôles antidopage positifs, lors des Mondiaux d'athlétisme 2013» de Moscou. «Je dispose des preuves», a-t-il assuré dans un communiqué publié via l'Agence mondiale antidopage (AMA). En novembre 2015, la publication d'un rapport de l'Agence mondiale antidopage faisait état d'un dopage institutionnalisé en Russie. L'IAAF avait alors décidé de suspendre la fédération russe. Un an auparavant, fin 2014, c'est un reportage de la chaîne allemande ARD qui avait dévoilé ce dopage systémique, déclenchant l'enquête de l'AMA. «Progrès insuffisants» Ces dernières semaines, les feux rouges concernant le dossier russe étaient tous allumés. La chaîne ARD avait à nouveau diffusé un documentaire accablant. Le 13 juin à Montevideo, la capitale de l'Uruguay, le directeur de l'AMA, David Howman, avait déclaré : «Les progrès de la Russie sont insuffisants.» Deux jours plus tard, mercredi 15 juin, dans un nouveau rapport, l'AMA dénonçait de nombreux manquements ces derniers mois. Selon l'Agence, du 18 novembre 2015 à fin mai, 736 contrôles antidopage n'auraient pas pu être menés, un chiffre élevé, à comparer avec les 2 947 contrôles effectués sur cette période, les contrôleurs antidopage étant soumis à de nombreuses pressions. Au final, cette annonce de l'IAAF s'apparente surtout à une opération de communication. Ou comment afficher sa fermeté, sans se fâcher totalement avec les Russes. Car le CIO devrait trancher prochainement, peut-être mardi. Et il est probable que l'on s'achemine vers une participation de certains athlètes russes «propres», malgré la suspension de la Fédération russe d'athlétisme. Contacté par Le Monde, Bernard Amasalem, président de la Fédération française d'athlétisme et membre du Conseil de l'IAAF, s'est félicité de la décision à l'unanimité de suspendre la fédération russe, mais a déploré les exceptions permises : «Cela va être compliqué d'expliquer pourquoi on prend M. Dupont et pas M. Durand.» Poutine : «La responsabilité ne peut être qu'individuelle» Vendredi, lors du Forum économique de Saint-Pétersbourg, le président Vladimir Poutine a tenu à souligner que «le problème du dopage n'est pas limité à la Russie. Si quelqu'un essaie de politiser cette question, c'est une grande erreur. Le sport, c'est comme la culture, cela sert à rapprocher les peuples. Il ne faut pas essayer de construire une politique anti-russe en utilisant le sport. Au niveau de l'Etat russe, nous avons toujours combattu le dopage et nous continuerons à le faire.» Et M. Poutine de conclure : «La responsabilité ne peut être qu'individuelle, on ne peut pas engager la responsabilité collective de tous les athlètes et punir toute l'équipe de Russie.» En mars, le président Allemand du CIO, Thomas Bach, avait laissé la porte ouverte aux athlètes russes, en déclarant dans une interview au Monde : «La Fédération russe d'athlétisme a commis des fautes, et elle a été suspendue. En ce qui concerne la participation des athlètes, il faut sanctionner tous ceux qui se sont dopés. De l'autre côté, s'il y a des athlètes propres, il faut appliquer la justice individuelle.» Dans ce dossier, le CIO s'est pour l'instant confortablement retranché derrière la décision de l'IAAF. Une manière habile pour Thomas Bach de gagner du temps et de ne pas ouvrir d'enquête sur le Comité olympique russe, alors que depuis 2014, la Russie était au cœur de forts soupçons de dopage systémique. Alors que, auprès des médias, M. Bach martèle sa «tolérance zéro» du dopage – comme dans cette tribune au Monde le 18 mai –, il ne s'est pas expliqué sur ce choix surprenant. Concernant Ioulia Stepanova, la coureuse et lanceuse d'alerte russe qui a permis de dévoiler le dopage généralisé dans son pays natal – elle est désormais exilée aux Etats-Unis –, l'IAAF a laissé la porte grande ouverte pour son éventuelle participation au Brésil, sans toutefois aller jusqu'à assurer qu'elle sera présente aux Jeux olympiques. Y. B./I. M. In lemonde.fr