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Le «cycle du hype» ou la vie chaotique des innovations
Une technologie doit être mature et doit aussi être en phase avec son époque et rencontrer un marché
Publié dans La Tribune le 20 - 08 - 2016

De la création d'une technologie à son adoption par le grand public, chaque innovation de rupture passe par une série d'étapes que l'institut Gartner appelle le «cycle du hype» ou courbe d'adoption. Où en sont aujourd'hui les technologies les plus prometteuses comme la réalité virtuelle et augmentée, l'impression 3D, l'informatique quantique, les robots intelligents, la blockchain ou encore les véhicules autonomes ?
De la création d'une technologie à son adoption par le grand public, chaque innovation de rupture passe par une série d'étapes que l'institut Gartner appelle le «cycle du hype» ou courbe d'adoption. Où en sont aujourd'hui les technologies les plus prometteuses comme la réalité virtuelle et augmentée, l'impression 3D, l'informatique quantique, les robots intelligents, la blockchain ou encore les véhicules autonomes ?
La vie d'une technologie n'est pas un long fleuve tranquille. Entre le moment où le grand public apprend l'existence d'une innovation potentiellement révolutionnaire (comme la poussière intelligente, l'impression 4D ou encore l'ordinateur quantique actuellement), et celui où elles deviennent mâtures, profitables et accessibles à un large public, il se passe souvent des années, voire des décennies.
La réalité virtuelle, par exemple, est longtemps restée dans la catégorie des fantasmes de science-fiction. Même après la création du premier casque, par l'ingénieur Daniel Vickers dans les années 1970, il a fallu attendre que l'industrie du jeu vidéo s'en empare dans les années 1990 (la Séga VR) pour que le grand public prenne conscience de son potentiel, sans toutefois l'adopter en raison de multiples freins, autant culturels que techniques. Ce n'est qu'aujourd'hui, en 2016, avec l'Oculus Rift et l'HTC Vive, que les casques de réalité virtuelle commencent à se démocratiser. Selon les experts, il faudra encore attendre au moins cinq ans avant de toucher vraiment le grand public.
Pour s'imposer, non seulement une technologie doit être mature, mais elle doit aussi être en phase avec son époque et rencontrer un marché. Voilà pourquoi, malgré les progrès de la technologie et des usages fonctionnels, les imprimantes 3D ou les robots de compagnie n'ont pas encore envahi nos maisons.
De la découverte enthousiaste à l'adoption, en passant par l'euphorie et la désillusion
Cette longue épopée a été théorisée en 2005 par les experts de Gartner sous le nom de «cycle du hype». Depuis, l'institut publie tous les ans une mise à jour, qui a été révélée mardi 16 août. Ce cycle prend la forme une courbe en forme de montagnes russes, sur laquelle se placent toutes les technologies émergentes en fonction de leur degré de maturité. Selon Gartner, chaque innovation passe, si elle survit, par quatre ou cinq étapes clés dans son cycle de vie. Ce sont les stades de la «hype», qui correspondent à sa popularité, c'est-à-dire à sa perception par le public et par les experts.
Enthousiasme autour de la poussière intelligente, de l'impression 4D ou de l'ordinateur quantique
La première étape, intitulée «innovation trigger» ou déclencheur de l'innovation, correspond au stade de la découverte enthousiaste. L'apparition d'une innovation de rupture ou la combinaison de plusieurs avancées scientifiques déclenchent l'intérêt des médias et de certains groupes industriels. Des études de faisabilité (proof-of-concept) et des projets plus ou moins futuristes donnent une idée de son potentiel. A ce stade, il n'existe souvent aucun produit sur le marché. Les experts doutent même de sa viabilité commerciale.
En 2016, c'est le cas pour l'ordinateur quantique -qui promet de démultiplier la puissance de calcul des machines- de l'impression 4D -pour créer des objets intelligents avec des nano-technologies-, de la poussière intelligente -des systèmes micro-électromécaniques capable de mesurer des données aujourd'hui inaccessibles-, de l'homme augmenté ou encore des machines dotées d'une intelligence artificielle générale, capables de penser comme un être humain.
Dans le meilleur de cas, il faudra au moins cinq à dix ans avant que la technologie arrive à maturité. Souvent, beaucoup plus. L'informatique quantique, par exemple, figurait déjà dans cette catégorie en 2005, année du premier «cycle du hype» de Gartner. En onze ans, la recherche a progressé, des expériences ont été menées et des multinationales comme Google et IBM s'y intéressent de près, mais l'informatique quantique n'est pas encore passée au stade supérieur. A l'inverse, la réalité augmentée, qui faisait aussi partie des technologies futuristes en 2005, commence à atteindre le grand public, comme le prouve le succès phénoménal, depuis un mois, du jeu Pokemon Go.
Attentes démesurées autour de la blockchain, de la maison connectée et des véhicules autonomes
Inévitablement, les premières expériences finissent, tôt ou tard, par accoucher de quelques succès concrets. De quoi donner un avant-goût de la révolution à venir. Il n'y a pas encore de véritable marché, les entreprises ne sont pas rentables, mais un futur se dessine pour ces technologies. Evidemment, ces premiers succès sont largement relayés par les médias, ce qui déclenche une vague d'euphorie, à la fois de la part du grand public et des acteurs industriels. C'est le «pic d'attentes démesurées», selon Gartner.
La blockchain est aujourd'hui dans ce cas de figure. Cette technologie, utilisée par la crypto-monnaie bitcoin, promet de révolutionner les transactions sur internet en évitant tout intermédiaire et en garantissant leur sécurité. De quoi bouleverser le monde bancaire, les acteurs de la santé, de l'assurance, de l'immobilier, de l'éducation... Flairant le jackpot, de nombreuses startups se lancent avec des ambitions folles. Slock.it, par exemple, voudrait «ubériser» Airbnb en installant dans le verrou des appartements un «smart contract», un contrat intelligent qui générerait son ouverture et la transaction financière. D'autres travaillent sur le vote électronique via la blockchain, pour le rendre totalement sûr, parmi d'autres applications.
Les véhicules autonomes suscitent aussi en ce moment des attentes énormes. D'après un rapport du Boston Consulting Group, leur avènement pourrait faire disparaître la congestion automobile en ville et réduire la pollution de 80%. Google, Apple et les constructeurs automobiles investissent des milliards, tout en étant conscients que le jour où ces engins totalement automatisés se feront une place dans nos villes n'est pas encore venu.
Enfin, le succès de Withings, Netatmo et quelques autres startups de la maison intelligente laisse aussi entrevoir un futur dans lequel tous les logements seront dotés d'objets connectés qui «discuteront» entre eux. Les solutions domotiques se multiplient, les géants du Net Apple, Google et Amazon se livrent une bataille sans merci pour dominer cet écosystème naissant, et une myriade d'objets connectés sont désormais disponibles jusque dans les supermarchés. Les constructeurs y croient, les prospectivistes aussi. Mais le grand-public ne se départit pas encore de sa méfiance envers des objets souvent chers et perçus comme des gadgets peu sécurisés...
Désillusion puis retour en grâce pour la réalité virtuelle
Une fois que les premiers succès ont laissé entrevoir l'ampleur de la disruption à venir, reste à enfoncer le clou. Arrivent alors les problèmes. Souvent, la technologie n'est pas assez aboutie ou peine à devenir profitable. Le marché peut aussi ne pas être assez mâture, sans compter que les standards technologiques et réglementaires propices à son développement peuvent ne pas être encore fixés. La technologie entre alors dans la phase que Gartner appelle «through of disillusionment», ou tunnel de la désillusion. Une période plus ou moins longue pendant laquelle la technologie disparaît quelque peu des radars, avant de revenir sur le devant de la scène et d'entrer dans la phase dite «slope of enlightement» (pente de l'illumination), une sorte de retour en grâce où toutes les conditions du succès sont enfin réunies.
Ces deux dernières années, la réalité virtuelle a effectué cette transition délicate. Après des années d'attentes déçues, elle trouve enfin des usages concrets dans le jeu vidéo et rencontre la demande du public. Lorsque les constructeurs auront vraiment investi le marché, la réalité virtuelle entrera dans la dernière phase du «cycle du hype», intitulé le «plateau de productivité», qui marquera son adoption massive par le grand public.
Bien sûr, certaines innovations de rupture ne suivent pas à la lettre cette courbe d'adoption. Le smartphone, par exemple, s'est imposé très rapidement suite au lancement de l'iPhone d'Apple, en 2007, sans passer par la case des attentes démesurées ni par celle de la désillusion.
Une exception qui confirme la règle.
S. R.
In latribune.fr


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