C-Rabah La relation entre l'Algérie et la France est en phase d'apaisement depuis l'arrivée de François Hollande à l'Elysée. En effet, les présidents Abdelaziz Bouteflika et François Hollande ont décidé, il y a quelques années, d'engager les deux gouvernements, l'ensemble des institutions et également la société civile, dans la construction d'un partenariat d'exception entre leurs deux pays. L'Algérie partage aujourd'hui avec la France une même priorité : la lutte contre le terrorisme, mais pas seulement. Il y a aussi le volet économique. Si la France n'est plus le premier partenaire de l'Algérie, devancée par la Chine, elle demeure néanmoins un allié commercial indispensable. Et pour couronner le tout, il y a la proximité historique. Et c'est cette histoire partagée qui fait que les relations entre l'Algérie et l'ancienne puissance coloniale sont plutôt passionnelles et tumultueuses. Malgré les tentatives multiples de maintenir les rapports entre les deux pays à un rang exceptionnel, ces derniers oscillent depuis l'indépendance entre tension et coopération, distanciation et rapprochement, passion et raison, attraction et ressentiment. La raison ? Le refus de la France officielle de reconnaître ses crimes liés à la période tragique de colonisation. Hier et à l'occasion de la commémoration du 62e anniversaire du déclenchement de la Révolution du 1er Novembre, le président Bouteflika n'a pas manqué d'évoquer le devoir de «perpétuer» le souvenir de la Révolution de Novembre dans la mémoire collective nationale «non pas pour cultiver la haine, mais pour que nul n'oublie le prix payé par le peuple afin de vivre libre et indépendant». Il a tenu à rappeler également que «la lutte aura été terrible et disproportionnée en moyens. Le sol de l'Algérie aura été irrigué du sang d'un million et demi de martyrs, soit plus du sixième de sa population, les uns tombés héroïquement au champ d'honneur les armes à la main, les autres, hommes, femmes et enfants, enlevés dans les villes et les villages, et assassinés dans les geôles coloniales ou sous la torture». Dans son message, le Président a même affirmé que «la nuit coloniale a été jalonnée de massacres proches du génocide» assurant par la même occasion «que nul discours outre-mer, ne saurait à jamais ni travestir ni encore moins effacer» les réalités du colonialisme en Algérie. Autrement dit, le président de la République suggère que les massacres, qualifiés de «génocide», méritent une repentance. De concert, l'appel à la repentance lancé hier par le président de la République a été appuyé par celui du ministre des Moudjahidine, l'Organisation nationale des Moudjahidine et le parti «symbole», le FLN. Ces derniers ont tous, d'une seule voix, demander à la France d'assumer ses «responsabilités historiques et de reconnaîtra ses exactions contre le peuple algérien. Même en France, soixante dix-huit députés de La Gauche ont présenté une proposition de loi qui fait reconnaître publiquement à la France sa responsabilité dans les massacres des Algériens à Paris et ses environs le 17 octobre 1961. Cependant, l'Etat français rechigne à faire acte de repentance et à condamner la torture pratiquée par son armée pendant la guerre d'Algérie. Pourtant, plusieurs initiatives françaises relatives au travail historique sur la mémoire ont été lancées, mais la France n'est jamais allée jusqu'au bout. Faut-il rappeler que sous le président Jacques Chirac, la France semblait mieux assumer son passé colonial en Algérie et avait décidé en 1999, d'adopter un projet de loi sémantique qui substitue l'expression «guerre d'Algérie» à celle d'«opérations de maintien de l'ordre en Afrique du Nord». De son côté, la diplomatie française concocta, un peu plus tard en 2005, sur instruction de l'Elysée, une formule qualifiant les événements du 8 mai 1945 de «tragédie inexcusable». La reconnaissance par la France de la guerre d'indépendance algérienne et l'ouverture des archives militaires françaises permettaient de dire qu'un pas a été franchi, mais très vite l'espoir se dissipa. En février 2005, l'Assemblée française a adopté la loi qui reconnaît le rôle positif de la colonisation, notamment en Afrique du Nord, mettant fin à la lune de miel entre l'Algérie et la France. En 2007, le président Nicolas Sarkozy affiche clairement son refus à toute repentance française sur les crimes de la colonisation en déclarant: «Je ne viens ici ni pour blesser, ni pour m'excuser». Il aurait même été à deux doigts de dénoncer les Accords d'Evian, à en croire, le livre consacré à Patrick Buisson (le conseiller préféré de Nicolas Sarkozy), publié par des journalistes du Monde Ariane Chemin et Vanessa Schneider. A en croire les auteurs, Patrick Buisson avait convaincu l'ancien président de la République, en pleine campagne présidentielle de 2012, de dénoncer les Accords d'Evian, qui mirent fin à la guerre d'Algérie. Avec la venue de François Hollande, les choses se sont un peu calmées, mais il n'y a toujours pas eu de repentance même si le Président français a été très prolixe concernant la mémoire partagée entre les deux pays. En 2012, il a déclaré que «l'Algérie a été soumise à un système profondément injuste et brutal. Ce système a un nom : c'est la colonisation.» Le Président français va plus loin en citant ensuite explicitement «les massacres de Sétif, de Guelma et de Kherrata». Il a aussi été le premier chef d'Etat français en visite en Algérie à employer le mot «torture» pour décrire certains actes commis pendant la guerre d'Algérie. Le Président a en effet rappelé le «devoir de vérité sur la violence, les injustices, les massacres, la torture». Après ces pas en avant, Hollande va reculer. Enfin, il va plutôt décider de tenir le bâton par le milieu, jouer les équilibres en ménageant la chèvre et le chou. Il a ainsi décidé d'honorer les Harkis et de reconnaître la responsabilité de la France dans leur abandon après avoir été critiqué pour son choix de la date du 19 mars pour commémorer la guerre d'Algérie. La raison est claire. Hollande est au cœur d'une précampagne électorale et ne souhaite pas s'attirer les foudres d'une partie de la population, ni donner l'occasion à la droite de gagner les voix de dizaines de milliers de pieds noirs. La droite semble déjà bien partie pour les prochaines élections après les derniers attentats terroristes commis en France. Et si la droite venait à remporter les prochaines élections, qu'en sera-t-il des relations algéro-françaises à ce moment là, sachant que l'Algérie tient, cette fois-ci aux excuses de son ancien colonisateur ? Les nombreuses occasions qui ont été manquées pour apaiser les relations entre l'Algérie et la France à cause du refus de la France de reconnaître ses crimes, pousse à se demander sur les raisons de ce refus de repentance. Sûrement parce que dans la perception française, une démarche vers la repentance serait non seulement humiliante pour la France, mais aussi insultante pour les rapatriés, les anciens combattants et les harkis. En outre, elle exposerait l'Etat français à des sanctions internationales pour crimes contre l'humanité avec l'obligation de verser des compensations. Pour toutes ces raisons, c'en est donc fini de la repentance. Plutôt que d'assumer le legs du passé et d'ouvrir la boîte de pandore, la France préfère adopter une forme de realpolitik à la française qui allie à la fois symboles et affaires. Mais dans la perception algérienne en revanche, la question de repentance s'impose comme une revendication mémorielle majeure devant être satisfaite, un préalable à tout approfondissement de la coopération bilatérale. Pour les Algériens, les crimes coloniaux sont imprescriptibles. L'histoire de la repentance dans le monde montre que la revendication algérienne n'est pas un cas inédit dans les relations internationales. L'Allemagne a accepté d'accorder des compensations financières à Israël, au titre d'indemnisation des victimes du nazisme. Elle a aussi reconnu sa responsabilité en tant que puissance coloniale dans le génocide des Héréros namibiens. Le Japon a exprimé en 1998 «ses remords et ses excuses sincères» pour la domination coloniale exercée sur la Corée du Sud. La France aussi, en 1995, a reconnu la responsabilité de l'Etat français envers les juifs de France dans la rafle du Vel' D'hiv. En 1997, Lionel Jospin l'a fait envers les descendants des fusillés de 1917 dans la répression des mutineries de la Grande guerre. En 2005, c'est encore Chirac qui s'est excusé au nom de l'Etat français pour la terrible répression de 1947 à Madagascar. Tous ces exemples montrent que la repentance est souvent le prix à payer pour une réconciliation durable. La France est-elle prête à payer ce prix ? Ou restera-t-elle réfractaire à toute coopération apaisée permettant aux deux pays de se tourner vers l'avenir ? H. Y.