La question de la repentance, longtemps point de discorde entre Alger et Paris, connait une convergence de vue, plutôt surprenante, de part et d'autre. Alors que l'Algérie fête ses cinquante ans d'indépendance, le ton se fait moins tranchant, moins menaçant. L'heure est à l'apaisement. Ceci du côté officiel, mais certains acteurs politiques et des intellectuels tentent de casser cette «convergence», en réclamant, côté algérien, une reconnaissance franche et un pardon officiel pour les crimes coloniaux commis durant les 132 ans de colonisation française de l'Algérie, et, côté français, en refusant catégoriquement toute repentance avec même cette idée d'avoir «civilisé» le pays. .C'est la fameuse «œuvre civilisatrice» brandie par les droitiers de la classe politique française symbolisée par la fameuse loi du 23 février 2005 glorifiant les «bienfaits» de la colonisation française. En visite d'Etat en Algérie à partir de demain, le président français, François Hollande, est attendu au tournant aussi bien par les Algériens sur la question mémorielle, que par les Français sur des questions notamment d'ordre politique, à l'exemple de ce qui est connu en France comme l'affaire des moines trappistes de Tibhirine, enlevés et assassinés par les GIA (Groupes islamiques armés), en 1996. Y. D. Abdelaziz Bouteflika, président de la République «Avec la France nous avons beaucoup d'atouts en partage et nous voulons relever le défi de construire un partenariat qui résiste aux contingences et qui dépasse les seules relations commerciales où chacun réduit l'autre à un débouché. Ce que l'Algérie attend de la France, c'est un accompagnement dans le processus de développement économique, social et humain, un vaste chantier en cours de mise en œuvre et qui nécessite un perfectionnement de l'élément humain, un transfert technologique réel et un partenariat gagnant-gagnant dans le système productif. En tout état de cause, nous espérons que l'arrivée aux responsabilités de M. François Hollande va marquer une nouvelle étape dans nos relations bilatérales qui sont appelées à s'approfondir dans l'intérêt de nos deux peuples. Mais d'un point de vue politique et stratégique, je ne peux que réaffirmer l'obligation pour l'Algérie et la France de travailler ensemble tant leurs interdépendances sont nombreuses. Nous avons une responsabilité devant nos peuples. Nous devons tirer les enseignements de notre expérience passée, pour corriger ‘'dans l'action'' la trajectoire d'une coopération et d'un partenariat toujours perfectible. Nous pouvons, tout de même, nous féliciter du fait qu'au fil du temps les deux pays aient pu apporter à chaque fois une pierre à ce grand édifice que nous voulons construire ensemble, celui d'un modèle de coopération dans le bassin méditerranéen.»
Ould Kablia, ministre de l'Intérieur, ancien du Malg «La guerre d'Algérie est une chose et ce qui s'est passé sur le territoire français n'est pas autre chose mais doit être examiné sous un angle différent. Il s'agit d'autorités légales françaises qui ont commis un crime (il fait référence aux manifestations sanglantes du 17 octobre 1960, que F. Hollande a condamnées, Ndlr) qui a été occulté jusque-là, dont on a minimisé les bilans, minimisé l'action criminelle de la police. Aujourd'hui, cela se dit en plein jour, et c'est tant mieux. C'est à mettre à l'honneur du président Hollande qui tient d'abord à sauver l'honneur de la France dans ce cas précis. Maintenant, la guerre d'Algérie, c'est autre chose. La France est entrée par la force dans notre pays, s'y est déployée par la force et s'y est maintenue par la force sur toute la période d'occupation, de 1830 jusqu'à 1962. Partant, c'est de l'action criminelle du colonialisme qu'il s'agit et qui non seulement détruit les sociétés, mais avilit les personnes et s'accapare de leurs richesses. Il se trouve que durant la période 1954-1962, les choses sont allées très loin avec des massacres collectifs, de la torture, du génocide. Tout cela, l'Etat français l'a fait et l'a couvert. Le général de Gaulle a essayé de faire comprendre que l'armée française en Algérie obéissait à ses propres instincts, à ses propres automatismes mais cela n'exclut pas que la responsabilité de l'Etat français soit totale. Maintenant se repentir, cela veut dire quoi ? Demander des excuses, cela veut dire quoi aussi ? Moi, sincèrement, je pense qu'il faut dépasser tout cela. Moi, je n'exprime pas une position officielle mais ma position personnelle sur ce sujet. Je considère que ces choses-là sont dépassées. La parenthèse est fermée. Comme on l'a toujours dit. Il faut tourner la page mais sans oublier le passé. Car les souffrances, les sacrifices nous les avons consentis pour libérer le pays. Nous avons obtenu ce résultat, ça fait maintenant partie de l'Histoire. Aujourd'hui, il faut envisager l'avenir et je pense que ce n'est pas en ressassant perpétuellement les mêmes demandes, les mêmes exigences que l'on fera avancer les choses.»
Chérif Abbas, ministre des Moudjahidine « (…) Au regard des crimes perpétrés par ce colonisateur contre un peuple sans défense et compte tenu de leur impact dans l'esprit même des générations qui n'ont pas vécu cette période, sachant que tout un chacun connait les affres subies par notre peuple du fait de la torture, des mutilations et de la destruction, les Algériens veulent une reconnaissance franche des crimes perpétrés à leur encontre.»
Farouk Ksentini «La colonisation a été un crime massif dont la France doit se repentir si elle envisage d'établir avec l'Algérie (…) de véritables relations de qualité à la fois nouvelles et denses, mais délivrées d'un passé tragique à l'occasion duquel le peuple algérien a souffert l'indicible dont il n'est pas sorti indemne et qu'il ne peut effacer de sa mémoire. La repentance n'étant ni une danse humiliante, ni un aveu, (…) l'on comprend mal les hésitations de l'Etat français actuel, par ailleurs si vif en matière de commémorations, à reconnaître officiellement les fautes des générations politiques qui lui ont été antérieures et à poursuivre que celles-ci soient pardonnées par ceux qui en ont été les victimes. La France a été toujours un pays belliqueux (…) aveuglée qu'elle était par la culture forcenée de la conquête territoriale et par le besoin de construire un empire (…) la colonisation de l'Algérie doit être considérée par la partie française comme un évènement historiquement ordinaire sur lequel il ne serait pas absolument nécessaire de revenir.»
Belkhadem SG FLN «Il faut que la France officielle reconnaisse les crimes de la colonisation. Une fois que cet obstacle sera levé, il n'y a pas de raison pour que les relations ne connaissent pas une embellie (…) il y a nécessité de donner à la mémoire une place dans les relations entre les deux pays. Il y a beaucoup de domaines où nous pouvons coopérer ensemble mais on ne peut pas tirer un trait sur l'Histoire. Nous avons une histoire commune.»
B. Stora, historien «La repentance ? Ce mot est rarement prononcé en Algérie (…) Ce que les Algériens attendent généralement, c'est la reconnaissance des exactions commises(…). Le problème, c'est qu'il faut cibler quel type d'exactions. Cela a été fait pour Sétif et Guelma (massacres du 8 mai 1945, Ndlr) et récemment, pour la répression à Paris de la manifestation du 17 octobre 1961. Une prise de position de François Hollande allant dans ce sens est attendue en Algérie. La question pour eux (Algériens), c'est la colonisation, celle de l'imposition d'un système dans la durée, c'est-à-dire «pourquoi les Français sont-ils arrivés en Algérie et comment, pendant 130 ans, nous, Algériens, avons vécu avec cette histoire ?» C'est cela qui les intéresse. (…) les Français évoquent surtout la fin de la guerre, avec l'exode des pieds-noirs, le massacre des harkis, la fin de l'Algérie française, alors que les Algériens parlent des origines de la guerre. C'est la différence d'approche.»
Kader Arif, ministre français délégué aux Anciens combattants, fils de harki «Il faut éviter de souffler sur les braises, la question de la repentance serait une espèce d'auto flagellation(…) Il faut regarder l'histoire avec lucidité. Ce n'est pas juste un coup que ce déplacement (visite de François Hollande à Alger) en Algérie, c'est le début d'un travail qui va être inscrit dans la profondeur.»
J.-P. Chevènement Pdt. de l'Association d'amitié France-Algérie «Le passé ne doit pas obscurcir l'avenir. Il faut regarder vers l'avenir avec optimisme et penser d'une manière positive afin de mieux avancer, en renforçant la coopération, l'amitié et l'amour entre les deux pays et peuples (…) Il n'y a pas de crise entre l'Algérie et la France. L'Association d'amitié France-Algérie milite justement dans le sens d'organiser au mieux le contact entre Algériens et Français (…) C'est un réservoir de bonne volonté qui se compose de beaucoup de personnes très motivées pour atteindre cet objectif.»