Harpagon est un personnage de l'Avare, la célèbre pièce de théâtre de Molière. Il personnifie l'avarice car il économise sur tout et refuse de faire la moindre dépense. Sa devise de pingre est «quand il y a à manger pour huit, il y en a bien pour dix». En ces temps de disette financière qui implique plus que jamais la présence d'un parcimonieux, à défaut d'un Harpagon intégral, quelque chose nous dit en effet que c'est d'un rapiat dont le gouvernement a besoin. Ce quelque chose nous suggère que ce précieux ladre devient même une nécessité politique. On en a vu récemment un ultime signe dans le fait que le RND, dont le patron est le directeur de cabinet du chef de l'Etat, remet désormais en cause, et surtout publiquement, les choix du gouvernement en matière de gestion de la profonde crise financière que traverse le pays. A l'APN, le député chargé d'exprimer la remise en question de la politique gouvernementale, commence par opposer «la clairvoyance du président de la République Abdelaziz Bouteflika» au «bricolage du gouvernement». Il ajoute au «bricolage» supposé «l'absence de stratégie fiable de sortie de crise» et «le recours à des solutions conjoncturelles». Et de souligner ensuite que le gouvernement «attend un miracle au lieu de chercher des solutions à la crise». Et en guise d'estocade cette sentence : «le moment est venu pour prendre des décisions audacieuses». Si on a bien compris, le gouvernement actuel userait de palliatifs au lieu de solutions radicales car il n'aurait pas de stratégie réelle de gestion de crise. D'où la conclusion : place donc à un autre qui serait plus «audacieux» et qui, lui, aurait une véritable politique de sortie de crise ! A la suite de ce député du RND qui ne semble pas avoir agi en franc-tireur, des questions on en poserait encore et à l'envi : comme de se demander encore si le Premier ministre de la dépense prodigue serait lui-même celui de l'austérité financière et des décisions qui font mal ? En d'autres mots, la cigale des étés chantants, deviendrait-elle, en trois coups de cuillère à pot, la fourmi des hivers de privation ? Le Premier ministre du prix du baril qui tutoyait les cimes, deviendrait-il, par la force du volontarisme, celui du brut des abysses financiers ? Difficile d'imaginer alors l'homme de la dépense expansive se transformer rapidement en Oncle Picsou ? Mais, tout compte fait, et c'est même un truisme que de le répéter, à chaque phase son homme de la situation. A la période d'opulence correspondait alors parfaitement l'homme de la prodigalité budgétaire. Aux temps de l'austérité sévère qui doit désormais dire son nom, correspondrait l'homme qui aurait nécessairement le profil d'un père de famille lésineux. Un père de famille, très près de ses sous, qui penserait à la baguette de pain pour mieux oublier la poire et le fromage. Cet homme aurait le profil psychologique et la carrure d'un gestionnaire doublé d'un homme d'Etat froid et déterminé à appliquer, d'une main qui ne tremble pas, les arbitrages financiers les plus sévères et les plus durs décidés par le chef de l'Etat. «La rigueur, c'est l'austérité plus l'espoir», disait Pierre Mauroy, qui fut en France le socialiste du «grand tournant de la rigueur» de 1981. N. K.