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Trump, l'Otan et les passagers clandestins
La défense collective remise en cause par le président américain élu
Publié dans La Tribune le 17 - 01 - 2017

Vladimir Poutine réhabilité, l'Otan boudée, les Européens, le Japon - et le Mexique ! - priés de passer à la caisse... Les plans isolationnistes de Donald Trump, le président américain élu, bientôt chef de la première armée du monde, ne peuvent que choquer le petit monde européen de la défense. L'Union européenne - déjà fragilisée par la contestation «populiste» quasi générale sur le continent, par un «Brexit» encore en pointillés, et par la confusion politique et économique en Italie ou en France, ses traditionnels piliers - semble tétanisée par l'irruption de Trump sur la scène américaine. Il est vrai que l'adage «I want my money back» s'annonce comme l'alpha et l'omega de sa future politique étrangère.
Certes, comme se rassure par exemple notre collègue de Zone militaire, «les déclarations de campagne électorale sont comme les propos de fin de banquet : il faut en prendre un peu et beaucoup en laisser». Et qu'à son entrée en fonction, vendredi prochain, le promoteur milliardaire aura ajusté ses désirs aux réalités.
C'est ce dont paraît persuadée également Susan Rice, la conseillère à la sécurité de l'actuel locataire de la Maison-Blanche, qui veut croire qu'il n'y aura pas de bouleversement dans les relations militaires américaines : «Le poids de la fonction (présidentielle), le poids du leadership mondial de l'Amérique et les responsabilités que cela comporte, l'histoire que nous partageons et nos intérêts, tout cela fait que nos alliés et partenaires peuvent compter sur le respect par les Etats-Unis de leurs obligations».
Pierre angulaire
Mais le nouveau grand homme américain a tout de même qualifié, en avril, l'Otan de «machine à cash», qui coûtait cher aux Etats-Unis ; et même menacé, en juillet dernier, de se désengager de l'Otan et de fermer ses bases sur le continent européen si les Etats membres ne prenaient pas à leur charge une part plus importante du budget de l'organisation. Et, rappelle Zone militaire, Trump a au minimum laissé entendre qu'il remettrait en cause la clause de défense collective de l'Otan, étant entendu que, sous sa présidence, une intervention militaire américaine ne serait pas forcément automatique dans le cas où l'un des alliés serait attaqué, en particulier si ce dernier n'a pas fait d'efforts financiers suffisants pour sa défense.
Les Européens s'étaient pourtant habitués depuis la création de l'Otan en 1949 à compter sur l'article 5 du traité de Washington, prévoyant que si un pays membre de l'Alliance est attaqué, les autres, et en premier lieu les Etats-Unis, lui doivent assistance. L'apparente remise en cause par M. Trump de ce traditionnel «filet de sécurité» a produit un «choc psychologique» parmi les pays membres, selon Olivier de France, de l'Iris, qui reconnaît leur «inquiétude légitime», tout en rappelant qu'on «ne sait pas ce que Donald Trump fera lorsqu'il sera aux affaires», sinon que «sa priorité reste la politique intérieure».
Le chercheur de l'Iris fait remarquer que, dans la présentation de son programme fin octobre à Gettysburg, en Pennsylvanie, aucune de ses trente propositions ne portait sur la politique étrangère. Toutefois, si l'article 5 était vraiment remis en cause, estime de son côté le député européen Arnaud Danjean, spécialiste des questions de défense au sein du parti Les Républicains (LR), «c'est la pierre angulaire de la défense collective qui sauterait».
Dernier blindé
C'est en tout cas le retour ou l'extension de la thèse du «passager clandestin» ou du «partage des charges», que les présidents Bush et Obama avaient déjà agitée en leur temps. En fait, l'actuel président Obama insistait depuis plusieurs années sur l'intérêt pour les Etats-Unis de se tourner plus vers l'Asie et le Pacifique, tout en demandant à ses alliés traditionnels européens de participer plus largement au financement de leur propre défense, et au règlement des conflits dans leur zone d'influence naturelle.
Ainsi le désengagement américain d'Europe a-t-il été déjà largement entamé : c'est d'ailleurs sous la présidence Obama, par exemple, que le dernier blindé lourd américain a quitté l'Europe. Sur la lancée des conflits en Géorgie, en Crimée et en Ukraine, certains pays d'Europe de l'Est - notamment la Pologne et les pays baltes - se sont lancés dans des programmes de réarmement, dans le but d'atteindre les deux points de PIB (consacrés à la défense) recommandés depuis plusieurs années par l'Otan…
Un objectif de 2% brandi comme un talisman par les secrétaires généraux de l'Alliance transatlantique, mais qui n'est atteint - selon des statistiques de l'Organisation elle-même, reprises sur le site Force opérations blog (FOB) par Cristina Mackenzie, dans une série de notes sur «Trump et la défense» -, que par cinq pays-membres sur les 28 : Etats-Unis (3,6%), Grèce (2,4%), Grande-Bretagne (2,21%), Estonie (2,16%), Pologne (2%).
Nicolas Gros-Verheyde, sur B2, qualifie d'ailleurs cet objectif rigide des 2% d'«idiot» : «Sans plan de dépense à l'échelle européenne, il risque d'aboutir à des achats dispersés, un gaspillage d'argent comme il y a eu dans le passé. Ils (les 2%) ne permettront pas en tant que tels de résoudre les lacunes qui persistent».
Bureaucratie militaire
La France arrive en sixième position, avec des dépenses atteignant 1,78% de son PIB. Du fait de la multiplication de ses engagements extérieurs, et sous la pression des attentats de ces dernières années, elle a enrayé un processus de déflation de ses effectifs militaires à l'œuvre depuis plus de deux décennies, et entrepris de moderniser ses principaux armements.
Outre l'Allemagne, le candidat Trump visait explicitement le Japon, la Corée du Sud et l'Arabie saoudite, parmi les pays devant «payer plus pour la sécurité considérable que nous leur fournissons», «des pays incroyablement performants, mais que nous subventionnons à hauteur de milliards et de milliards de dollars». Mais, selon le département d'Etat, les 6,1 milliards d'aide militaire accordés en 2014 ont été aux trois quarts destinés à Israël et l'Egypte, suivis de la Jordanie, de l'Irak et du Pakistan. En fait, les pays considérés par Trump comme «subventionnés» n'ont rien reçu du tout, rappelle FOB, à moins de considérer le maintien de bases américaines comme une mesure de défense uniquement au profit de ces pays, ce qui reste à prouver.
Selon Arnaud Danjean, Trump ne pourra pas aller beaucoup plus loin que cette demande d'efforts financiers supplémentaires à ses partenaires : «Très vite, le caractère vital de l'engagement stratégique américain va reprendre ses droits. Et puis, il devra préserver l'industrie de l'armement. Or, 80% des armées de l'Otan sont équipées par les Américains…».
Gendarme du monde
Devant l'Union League de Philadelphie, un club très ancien lié au Parti républicain, le candidat Trump avait exposé, le 7 septembre dernier, quelques-unes de ses idées en matière de défense : prétendant que les crédits militaires n'avaient cessé de fondre sous Obama (ce qui n'est pas toujours évident), il se proposait d'augmenter à nouveau le budget du Pentagone, pourtant très conséquent : 524 milliards de dollars pour 2017, selon le département de la défense. Mais il avait également promis de «rogner sur la bureaucratie militaire» et de «fournir aux meilleurs militaires du monde le meilleur matériel», en protégeant plus activement l'industrie américaine de l'armement de toute concurrence non désirée.
Une industrie qui n'a pas eu trop à se plaindre ces dernières années, même si les crédits du Pentagone se tassaient : avec 278 milliards de dollars de ventes à l'étranger (foreign military sale, FMS), souligne cette semaine la Lettre d'informations stratégiques TTU, la présidence Obama aura permis de doubler les ventes d'armements américains, bien au-delà des résultats déjà records obtenus par G. W. Bush : l'Arabie saoudite reste le meilleur client des Etats-Unis, avec 115 milliards de dollars de commandes de matériel sur cette période.
Dans son discours de septembre devant l'Union League, Trump promettait qu'immédiatement après avoir endossé son habit de président, le 20 janvier, il «demanderait à ses généraux de lui présenter dans les trente jours un plan pour battre et détruire Daech» ; mais, dans le même exposé, il se refusait à ce que l'Amérique continue à se comporter en gendarme du monde, et blâmait l'administration Obama d'avoir aidé à provoquer la chute de régimes «sans aucun projet pour le lendemain, et laissant des vacances de pouvoir rapidement occupées par des terroristes» - allusion à la Syrie-Irak de ces dernières années, mais aussi peut-être à la Libye en 2011…
Seigneur des drones
La Lettre TTU fait également remarquer qu'Obama, tout «nobelisé» qu'il soit, aura été de fait le plus grand ordonnateur d'assassinats ciblés que l'Amérique ait connu - avec des frappes massives de drones ces derniers mois encore contre les réseaux djihadistes en Syrie, en Irak, en Afghanistan, au Yémen ou en Somalie. Mais c'est en Libye qu'il mène actuellement sa «dernière bataille» : «Craignant une contagion régionale, le président Obama a décidé de poursuivre systématiquement chacun des combattants de Daech ayant fui la ville de Syrte (…).En raison du haut pouvoir de prosélytisme de ces militants, mais aussi pour ne recourir ni au déploiement de forces régulières au sol ni aux campagnes aériennes, l'Africa Command (basé notamment à Djibouti) a dû étendre en conséquence sa liste de HVI (High Value Individual), et son plan de renseignement.» Si bien que depuis le mois d'août, 360 frappes auraient «permis de rabattre dans l'enclave côtière de Syrte les derniers fidèles d'Al-Baghdadi, dont le nombre serait désormais inférieur à une centaine».
P. L.
In blog.mondediplo.net


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