Près de 180 ans après la mort de Talleyrand, l'une des citations du célèbre diplomate raisonne avec un écho particulier à l'heure du tout numérique et des réseaux sociaux : «Soyez à leurs pieds. A leurs genoux... Près de 180 ans après la mort de Talleyrand, l'une des citations du célèbre diplomate raisonne avec un écho particulier à l'heure du tout numérique et des réseaux sociaux : «Soyez à leurs pieds. A leurs genoux... Mais jamais dans leur mains.» Avec les milliards de smartphones en circulation, les chefs d'Etat n'ont plus le choix : ils sont, au sens premier du terme, «entre les mains des peuples» et à ce titre eux aussi assujettis à l'emprise des réseaux sociaux (Twitter, Facebook...) et à leur immédiateté digitale. Une nouvelle forme de diplomatie A l'heure où Donald Trump fait un usage débridé de Twitter et où le ministre pakistanais de la Défense utilise ce même réseau social pour menacer Israël d'une riposte nucléaire (tweet retiré depuis), une nouvelle forme de diplomatie fait son apparition. On parle désormais de «diplomatie digitale» en tant que nouvelle vision de la gestion des affaires internationales qui remet en cause, pour ne pas dire «ubérise», le monopole des diplomates, presque uniques représentants en charge de la gestion des relations politiques entre les pays. Ces nouveaux usages diplomatiques digitaux rendant obsolètes télégrammes et dépêches officiels venant en appui aux relations bilatérales entre chefs d'Etats. A l'heure du numérique, la politique étrangère sort ainsi de l'ombre et utilise ces nouveaux canaux si éloignés des salons feutrés des ambassades et des organisations internationales. Twitter arme d'influence Impossible de décrire cette notion de diplomatie digitale sans citer deux comptes Twitter qui font régulièrement la une des journaux : @realDonaldTrump (1) et @POTUS (2) (acronyme pour désigner «Président Of The United States»). Tantôt en tant que «Donald Trump», tantôt en tant que Président des Etats-Unis, Donald Trump continue de contourner les canaux médiatiques et diplomatiques classiques en faisant de Tweeter son principal média d'influence. Au titre de son compte personnel - @realDonaldTrump- près de 1 000 tweets mis en ligne depuis son élection le 6 novembre dernier parmi lesquels des messages sous forme d'effets d'annonce «j'annoncerai le nom de mon ministre des Affaires étrangères», d'autres sous formes d'ordres comminatoires «Boeing construit un 747 Air Force One tout neuf mais les coûts sont hors de tout contrôle. Annulez la commande !», de démentis cinglants «la Russie n'a jamais essayé de faire pression sur moi» ou encore de messages diplomatiques tel ce tweet à destination de Vladimir Poutine «j'ai toujours su qu'il était intelligent» envoyé quelques heures après la décision d'Obama d'expulser des diplomates russes des Etats-Unis alors que son homologue russe se refusant de céder à ce même mouvement d'humeur. 18 millions d'abonnés lors de son élection A peine élu mais pas encore en fonction, Donald Trump profita pleinement de ses 18 millions d'abonnés Twitter (aujourd'hui 26,5 millions contre seulement 41 comptes suivis) pour tweeter chacune de ses réflexions, colères et décisions afin que ses électeurs puissent être aux premières loges de ce feuilleton d'autoglorification relayé dans tous les pays. Si nul ne peut aujourd'hui contester que le pari gagné du candidat Trump est largement dû au fait qu'il a cassé les codes de le communication politique en s'affranchissant des médias classiques au profit de ce langage en 140 signes, reste à voir si cette nouvelle grammaire diplomatique, caractérisée par sa concision, sa spontanéité et sa provocation, deviendra une nouvelle norme ou une exception comme semble le souhaiter la Chine s'adressant au nouveau Président américain pour lui rappeler que «la diplomatie n'est pas un jeu d'enfant 53)» et d'enfoncer le clou en rappelant que Madeleine Albright, ancienne ministre des Affaires étrangères (Secretary of State) avait elle-même rappelé que «Twitter ne devrait pas être un outil de politique étrangère (4)» («Twitter should not be a tool for foreign policy»). Ambassadeur numérique En diplomatie, le moins que l'on puisse dire c'est que cette «diplomatie du hashtag» est à l'opposé des habitudes des relations internationales caractérisées par leurs nuances, leurs secrets et leur formalisme. Pourtant, et du fait du poids du numérique dans nos sociétés et de la place central des «géants du Web», les Etats commencent à peine à s'organiser et établir de nouvelles formes de dialogue diplomatique ; en particulier avec les Gafa (Google, Apple, Facebook, et Amazon) comme ils le font depuis des siècles avec les nations. Pour faire face à ces mastodontes numériques, qui pour certains d'entre eux ont des niveaux de trésorerie supérieurs aux PIB de pays industrialisés, le Danemark vient de franchir le pas en inventant la diplomatie du XXIe siècle en nommant un «ambassadeur numérique (5)». S'il est encore difficile de dire quelle forme prendra ce «dialogue diplomatique» entre un pays et ces multinationales de la tech, il n'empêche que les sujets ne manquent pas : impact de l'intelligence artificielle, gestion des mégadonnées, contrôle des objets connectés, protection des données individuelles, prévention contre la désinformation et les «fake news»... Bref, tout un nouveau dialogue diplomatique à construire et que n'aurait sans doute pas renié Leibniz, ce philosophe allemand du XVIIe siècle, par ailleurs diplomate et «inventeur» de l'idée de représentation diplomatique. P. B. In latribune.fr