A La Tribune, on a l'habitude de penser que l'Etat fort et pérenne, c'est, avant toute chose, l'impôt. Et surtout l'impôt correctement et équitablement recouvré. Alors, quand le gouvernement d'Abdelmadjid Tebboune annonce qu'il va engager une réforme du système fiscal, on l'accueille donc comme une bonne nouvelle. Et lorsqu'il précise que l'objectif est d'assurer une couverture progressive des dépenses de fonctionnement par les revenus de la fiscalité ordinaire, qui devront progresser de 11% par an, là, on s'en réjouit même, car le pourcentage, aussi modeste qu'il semble paraître, sera tout de même un vrai progrès. Quid alors de la manière de faire ? Le Plan d'action du gouvernement précise à cet effet qu'il révisera les bases d'imposition sur le patrimoine, les barèmes et les taux de certains impôts en vue de les adapter au revenu de chaque contribuable, dans une logique d'équité. Il est aussi question de renforcement de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, et tout aussi bien d'accélérer la modernisation de l'administration fiscale : notamment par la gestion électronique de l'impôt. Autre point positif, la volonté affichée de mieux recouvrer l'impôt, à travers la TVA et la révision de certains abattements et autres exonérations spécifiques (niches fiscales). Apparemment, il ne s'agit pas d'une réforme de grande ampleur, c'est-à-dire d'une vraie remise à plat du système qui aurait les allures d'un réel aggiornamento fiscal. Mais elle est déjà de bon aloi cette volonté de faire bouger les lignes dans un secteur archaïque, sous-développé et mû habituellement par la force inertielle. Il faudrait cependant ne pas faire preuve de mauvaise foi en occultant qu'il y a eu un progrès relatif dans le recouvrement de l'impôt ces cinq dernières années. Les recettes fiscales ordinaires ont en effet augmenté de 9,2% en 2016, ce qui représente 121% de l'objectif officiel. Faudrait-il saluer donc les efforts réels des agents fiscaux ? Evidemment, oui. Mais aussi importants que soient ces efforts, les niveaux de certains impôts et autres taxes restent toutefois en deçà même des prévisions officielles qui étaient pourtant modestes. Surtout lorsqu'on sait que la collecte de la TVA a, par exemple, accusé un net recul, ne représentant la même année qu'un petit 5% du PIB ! Mais, d'une manière globale, cette amélioration des capacités de collecte est cependant un résultat en trompe-l'œil. Elle ne peut occulter en effet le fait que le système des impôts soit assez déficient pour tirer le maximum du potentiel de l'économie nationale en matière de fiscalité. Des pans entiers de l'économie échappent totalement au contrôle d'une administration en sous-effectifs, sous-administrée, sclérosée, parfois laxiste et par endroit corrompue. C'est une évidence, elle est dans l'incapacité structurelle de fonctionner avec le maximum de rigueur, d'efficacité et de vertu. Si, dans nombre de cas, l'impôt est levé, dans d'autres secteurs d'activité une faune de margoulins échappe en revanche à l'impôt et s'en tire même à bon compte. Pis encore, ces flibustiers sont rarement inquiétés même lorsqu'ils exhibent des signes extérieurs de richesse ostentatoires et indécents. Secret de Polichinelle, l'économie informelle fonctionne dans une stupéfiante autonomie qui lui permet d'engranger de mirobolantes ressources «nettes d'impôts» comme qui dirait ! L'Etat laisse donc faire ou, impotent qu'il est, la laisse prospérer impunément. Au motif qu'elle crée des centaines de milliers d'emplois, contribuant de la sorte à la préservation de la paix sociale. Résultat des courses fiscales perdues, elle se permet même de faire la sourde oreille, répondant à peine au souci du gouvernement de bancariser son argent, moyennant une ponction forfaitaire de 7%, et sans risque de questionnement sur l'origine des fonds. Un véritable bras d'honneur ! Ou, autrement dit, l'expression d'une défiance manifeste à l'endroit de l'Etat. Ces camarillas d'affairistes, nées à la faveur d'une certaine dérégulation de l'économie après 1989, ont particulièrement proliféré et prospéré durant la décennie 1990 du terrorisme, et davantage pendant la suivante. A l'image d'une tumeur métastatique, ces délinquants fiscaux ont réussi à transformer une importante partie de l'économie en bazar hors la loi. Participant ainsi à rendre encore plus difficile toute réforme de modernisation de l'économie. Au temps du plan d'ajustement structurel du FMI, qui a mis à la rue des dizaines de milliers de salariés, le développement du commerce parallèle fut pris comme une aubaine par l'Exécutif qui n'avait plus alors l'argent nécessaire à l'emploi. Avec le retour de la stabilité politique et l'extraordinaire embellie financière due aux prix élevés du pétrole, l'économie informelle s'est encore mieux épanouie. Les volumes d'argent noir frisent des niveaux vertigineux ! Sans pour autant qu'un infime pourcentage ne rentre dans les caisses de l'Etat. Reste finalement la question inévitable : pourquoi les gouvernements successifs ont laissé croître au grand jour l'économie de bazar, à un point où les revenus fiscaux ordinaires alimentent pour une part insignifiante un budget de l'Etat rarement à l'équilibre ? Chloroformé par une fiscalité pétrolière abondante, l'Etat ne s'est jamais vraiment intéressé à la réforme vitale du système fiscal. Telle qu'elle est, et à l'image d'un secteur bancaire antédiluvien, l'administration fiscale est un danger létal pour l'économie. Outre qu'elle doit être un chantier de transformation prioritaire, cette réforme doit être menée dans le respect du principe d'égalité citoyenne devant l'impôt. Il est inconcevable que les salariés soient ponctionnés à la source, ou que des opérateurs économiques vertueux s'acquittent de leurs obligations fiscales, alors que bien d'autres trichent ou ne payent pas d'impôt. Et alors que la fiscalité pétrolière s'est vertigineusement amoindrie depuis juin 2014, il faudrait donc mettre le paquet sur la fiscalité ordinaire, et c'est heureux le gouvernement Tebboune y pense. Son potentiel est énorme : la marge de progression du recouvrement est d'au moins 80%. Selon les spécialistes, l'Etat aura alors la possibilité de lever au moins l'équivalent de 30 milliards USD d'impôts ordinaires par an. Une manne providentielle ! N. K. y:Arial'