C'est déjà bien, mais cela pourrait être infiniment mieux. Le directeur général des impôts, Abderrahmane Raouia, a annoncé récemment quelque chose qui ressemble à une bonne nouvelle : la fiscalité ordinaire a rapporté environ 3 000 milliards de dinars. Il faut bien entendre se féliciter de ce chiffre qui dépasse les prévisions du gouvernement qui tablait sur un peu moins que ça. Cette nette amélioration des capacités de recouvrement de l'impôt est cependant un résultat en trompe-l'œil. Elle ne peut toutefois occulter le fait que le système des impôts est trop faible pour tirer le maximum du potentiel réel de l'économie nationale en matière de fiscalité. Des pans entiers de l'économie échappent totalement au contrôle d'une administration fiscale en sous-effectifs, sous-administrée, archaïque, sclérosée même, laxiste et par endroit corrompue. C'est une évidence, elle est dans l'incapacité structurelle de fonctionner avec le minimum de rigueur et d'efficacité. Si, dans nombre de cas, l'impôt est levé, dans d'autres secteurs d'activité une faune de margoulins échappe en revanche à l'impôt, et s'en tire même à bon compte. Pis encore, ces flibustiers ne sont jamais inquiétés même lorsqu'ils exhibent des signes extérieurs de richesse exorbitants et indécents. C'est à croire que l'administration fiscale est un club de bons Samaritains ! Secret de Polichinelle, l'économie informelle fonctionne dans une stupéfiante autonomie qui lui permet d'engranger de mirobolantes ressources «nettes d'impôts» comme qui dirait ! L'Etat laisse donc faire et la laisse prospérer impunément. Notamment au motif qu'elle crée des centaines de milliers d'emplois, contribuant ainsi à la préservation de la paix sociale. Résultat des courses, elle se permet même de faire la sourde oreille, répondant à peine au souci du gouvernement de bancariser son argent moyennant une ponction forfaitaire de 7% et sans risque de questionnement sur l'origine des fonds. Un véritable bras d'honneur ! Ou, si l'on veut, l'expression d'un manque de confiance flagrant en l'Etat. Ces camarillas d'affairistes nées à la faveur de la dérégulation progressive de l'économie nationale après 1989, a particulièrement proliféré et prospéré durant la décennie noire 1990 du terrorisme et davantage pendant la suivante. Tel un cancer, ces délinquants fiscaux ont réussi à transformer une importante partie de l'économie en bazar hors la loi. Participant ainsi à rendre encore plus difficile toute réforme de modernisation de l'économie. Au temps du plan d'ajustement structurel du FMI, qui a mis à la rue des dizaines de milliers de salariés, le développement du commerce parallèle fut pris comme une aubaine par l'Exécutif qui n'avait plus alors l'argent nécessaire à l'emploi. L'économie informelle constituait à ses yeux une bouée de sauvetage. Avec le retour de la stabilité politique et l'extraordinaire embellie financière due aux prix élevés du pétrole, l'économie informelle s'est, paradoxalement, mieux épanouie. Les volumes d'argent noir et sale frisaient des niveaux vertigineux ! Sans pour autant qu'un infime pourcentage ne rentre dans les caisses de l'Etat. Reste la question inévitable : pourquoi les gouvernements successifs ont laissé croître au grand jour l'économie de bazar à un point où les revenus fiscaux ordinaires alimentent pour une part insignifiante le budget de l'Etat qui a rarement été à l'équilibre. Chloroformé par une fiscalité pétrolière abondante, l'Etat ne s'est jamais intéressé à la réforme vitale du système fiscal. Telle qu'elle est, et à l'image d'un secteur bancaire antédiluvien, l'administration fiscale est un danger mortel pour l'économie du pays. Outre qu'elle doit être un chantier de transformation prioritaire, cette réforme doit être menée également par respect du principe d'égalité citoyenne devant l'impôt. Il est inconcevable que les salariés soient ponctionnés à la source et que des opérateurs économiques vertueux s'acquittent de leurs obligations fiscales, alors que bien d'autres trichent et ne payent aucun impôt. Aujourd'hui que la fiscalité pétrolière s'est considérablement amoindrie du fait de la chute des prix du pétrole, il faut mettre le paquet sur la fiscalité ordinaire. Son potentiel est énorme. La marge de progression du recouvrement est d'au moins 80%, selon les spécialistes. L'Etat a la possibilité de lever l'équivalent de 50 milliards USD d'impôts ordinaires. Il doit tout faire pour y parvenir. Et l'Etat fort, l'Etat digne de ce nom, c'est l'impôt. N. K.