Il y a manifestement beaucoup de progrès, mais cela pourrait ou devrait être infiniment mieux ! Le ministre des Finances et le DG des impôts ont récemment annoncé ce qui semble être une vraie bonne nouvelle : les recettes fiscales ordinaires de l'Algérie ont en effet augmenté de 9,2% en 2016, ce qui représente 121% de l'objectif officiel. Faudrait-il, à l'instar de Baba Ammi, saluer «les efforts considérables» des agents de la DGI ? Evidemment, oui. Mais aussi importants que soient cet effort et le mérite de l'administration fiscale, les niveaux de certains impôts et taxes restent tout de même «en deçà des prévisions» officielles. Une bonne raison qui incite le ministre à plaider logiquement pour «une meilleure mobilisation des ressources fiscales». Surtout lorsqu'on apprend du même coup que la TVA a, par exemple, accusé «un certain recul», c'est-à-dire une rétrogression certaine, ne représentant qu'un petit 5% du PIB ! Bien sûr, il faudrait se féliciter de l'effort sensible qui a été fourni ces cinq dernières années, et qui va à chaque fois au-delà des attentes gouvernementales. Cette nette amélioration des capacités de collecte de l'impôt est cependant un résultat en trompe-l'œil. Elle ne peut occulter en effet le fait que le système des impôts soit assez déficient pour tirer le maximum du potentiel de l'économie nationale en matière de fiscalité. Des pans entiers de l'économie échappent totalement au contrôle d'une administration fiscale en sous-effectifs, sous-administrée, archaïque, sclérosée même, parfois laxiste et par endroit corrompue. C'est une évidence, elle est dans l'incapacité structurelle de fonctionner avec le bon minimum de rigueur et d'efficacité. Si, dans nombre de cas, l'impôt est levé, dans d'autres secteurs d'activité une faune de margoulins échappe en revanche à l'impôt et s'en tire même à bon compte. Pis encore, ces flibustiers sont rarement inquiétés même lorsqu'ils exhibent des signes extérieurs de richesse exorbitants et indécents. C'est à croire que l'administration fiscale est un club de bons Samaritains ! Secret de Polichinelle, l'économie informelle fonctionne dans une stupéfiante autonomie qui lui permet d'engranger de mirobolantes ressources «nettes d'impôts» comme qui dirait ! L'Etat laisse donc faire ou, impotent qu'il est, la laisse prospérer impunément. Notamment au motif qu'elle crée des centaines de milliers d'emplois, contribuant de la sorte à la préservation de la paix sociale. Résultat des courses fiscales perdues, elle se permet même de faire la sourde oreille, répondant à peine au souci du gouvernement de bancariser son argent, moyennant une ponction forfaitaire de 7% et sans risque de questionnement sur l'origine des fonds. Un véritable bras d'honneur ! Ou, si l'on veut, l'expression d'une défiance manifeste à l'endroit de l'Etat. Ces camarillas d'affairistes, nées ou qui se sont accrues à la faveur d'une certaine dérégulation de l'économie après 1989, ont particulièrement proliféré et prospéré durant la décennie noire 1990 du terrorisme et davantage pendant la suivante. A l'image d'une tumeur métastatique, ces délinquants fiscaux ont réussi à transformer une importante partie de l'économie en bazar hors la loi. Participant ainsi à rendre encore plus difficile toute réforme de modernisation de l'économie. Au temps du plan d'ajustement structurel du FMI, qui a mis à la rue des dizaines de milliers de salariés, le développement du commerce parallèle fut pris comme une aubaine par l'Exécutif qui n'avait plus alors l'argent nécessaire à l'emploi. L'économie informelle constituait à ses yeux une bouée de sauvetage. Avec le retour de la stabilité politique et l'extraordinaire embellie financière due aux prix élevés du pétrole, l'économie informelle s'est encore mieux épanouie. Les volumes d'argent noir et sale frisent des niveaux vertigineux ! Sans pour autant qu'un infime pourcentage ne rentre dans les caisses de l'Etat. Reste finalement la question inévitable : pourquoi les gouvernements successifs ont laissé croître au grand jour l'économie de bazar à un point où les revenus fiscaux ordinaires alimentent pour une part insignifiante un budget de l'Etat rarement à l'équilibre. Chloroformé par une fiscalité pétrolière abondante, l'Etat ne s'est jamais intéressé à la réforme vitale du système fiscal. Telle qu'elle est, et à l'image d'un secteur bancaire antédiluvien, l'administration fiscale est un danger létal pour l'économie du pays. Outre qu'elle doit être un chantier de transformation prioritaire, cette réforme doit être menée également par respect du principe d'égalité citoyenne devant l'impôt. Il est inconcevable que les salariés soient ponctionnés à la source, et que des opérateurs économiques vertueux s'acquittent de leurs obligations fiscales, alors que bien d'autres trichent et ne payent pas d'impôt. Aujourd'hui que la fiscalité pétrolière s'est considérablement amoindrie du fait de la chute des prix du pétrole, il faudrait donc mettre le paquet sur la fiscalité ordinaire. Son potentiel est énorme. La marge de progression du recouvrement est d'au moins 80%, selon les spécialistes. L'Etat a la possibilité de lever au moins l'équivalent de 40 milliards USD d'impôts ordinaires par an. Il doit tout faire pour y parvenir. L'Etat fort, c'est-à-dire l'Etat digne de ce nom, c'est l'impôt bien recouvré. N. K.