Le 29 juin 2017, l'opération réalisée par le Pr Alim-Louis Benabib a fait l'objet d'une communication au WSSFN de Berlin, une rencontre internationale consacrée à la neurochirurgie . "Ce 21 juin (2017, NDLR), nous opérons un malade tétraplégique en installant deux implants dans son cerveau" explique le neurochirurgien et membre de l'Académie des sciences, fondateur du centre de recherches biomédicales Clinatec, à Grenoble, lieu de l'opération. But de cette intervention de haut vol : que la personne puisse, à partir de l'enregistrement de son activité cérébrale effectué grâce aux implants, piloter les "effecteurs" d'un exosquelette et remarcher ! Telle est l'astuce extraordinaire de cette installation, une interface entre le cerveau humain et un ordinateur ou "protocole BCI (Brain computer interface)", explique le Pr Benabid, que nous avons pu interviewer (voir la vidéo ci-dessous), lors d'une rencontre organisée par l'Institut Diderot, le 12 juin 2017 à Paris. Remarcher, se servir de ses bras... "Actuellement, ce malade est totalement dépendant" rappellait le professeur qui, depuis 1987, exactement trente ans, s'efforce, par des systèmes d'implants et de stimulation électrique cérébrale profonde, de soulager des personnes en grande détresse. Tout particulièrement ceux atteints d'une maladie de Parkinson très invalidante (1) et pour laquelle les médicaments n'ont plus d'effets bénéfiques, au contraire. "150.000 personnes ont été opérées dans le monde", selon les chiffres du Pr Benabid, et aujourd'hui des milliers de plus le sont chaque année, tout particulièrement en Chine, pays vieillissant. Ici, c'est différent. Pas de stimulation mais le recueil très précis, grâce aux deux implants dotés de pas moins de 64 électrodes chacun, de l'activité du cerveau du malade tétraplégique. Cette dernière a beau être tout à fait normale, elle ne peut malheureusement pas être communiquée au reste du corps et ce, à cause de traumatismes de la colonne vertébrale, comme l'avait rappelé le Pr Benabid à Sciences et Avenir en septembre 2016. D'où l'impossibilité pour le tétraplégique de faire bouger ses bras et jambes. Le lien direct entre le cerveau, la mesure de l'électricité qui l'anime, sa traduction par des algorithmes qui donnent ensuite les ordres voulus à l'exosquelette-robot, voilà un enchaînement qui a nécessité de patientes années de recherches. Tout particulièrement "avec le LIST (institut qui focalise ses recherches sur les systèmes numériques intelligents, NDLR) du CEA" explique Alim-Louis Benabid. Pareille mise au point requiert aussi une réelle audace. "Nous avons l'autorisation d'opérer cinq malades" précise le neurochirurgien, dont l'éthique de la démarche (lire encadré) a été examinée sous toutes les coutures par les comités ad hoc. "Quand on est en face d'un problème, il faut trouver la bonne mesure. Comment faire pour demeurer dans une éthique raisonnée ?" s'est interrogé le professeur à haute voix, le 12 juin, devant le parterre de médecins, de membres du comité d'éthique national, et aussi de spécialistes d'équipements médicaux, comme ceux d'entreprises telle Medtronic, avec laquelle il a développé depuis plusieurs décennies les systèmes d'implants pour les parkinsoniens. Ce qui s'impose, selon celui qui fut de formation à la fois médicale et de physicien, c'est "espérer une amélioration". Pour les tétraplégiques, celle-ci n'aura pas lieu instantanément. Cela prendra du temps, certainement plusieurs mois de "travail, pour le malade et pour nous-mêmes", estime Alim-Louis Benabid. Mais c'est un espoir gigantesque qui est soulevé. "On m'interroge toujours sur ce qu'on appelle 'l'augmentation'", constate le Pr Benabid, qui pratique le BCI (brain computer interface) (lire ci-dessus), interface cerveau-machine portée au pinacle par le célèbre entrepreneur américain Elon Musk, qui a tout récemment clamé vouloir doter l'humain d'intelligence artificielle. Autrement dit, se faire fort d'augmenter ses capacités, et notamment pour faire face aux machines, elles-mêmes dotées d'intelligence artificielle. A ce sujet, "mon attitude a changé" explique A.-L. Benabid. "Au début, je disais ' il ne faut absolument pas faire ça '." Mais il affirme avoir évolué dans sa réflexion : "Qu'est-ce que ne pas avoir de symptômes ? (à réparer, NDLR)" s'interroge ainsi le neurochirurgien, qui évoque "la perte de mémoire". Non pas la maladie d'Alzheimer, pathologie grave, mais ce que les Anglo-Saxons appellent "mild cognitive impairment", autrement dit un léger handicap cognitif. En réalité, "c'est très gênant", s'insurge A.-L. Benabid. "Est-ce que cela ne pourrait pas être amélioré ?" Serait-ce "alors de l'augmentation ?" Non sans humour, il évoque aussi la vaste question de... l'intelligence. "On n'est pas tous intelligents de la même façon", fait-il remarquer, légèrement provocateur. "En quoi serait-ce gênant si on stimulait (le cerveau, NDLR). A-t-on peur de rendre... l'autre plus intelligent ? De propulser le QI ? C'est pour qu'il n'y ait pas de problèmes qu'on respecte un statu quo", estime-t-il. Sciences & Avenir