«Salam Alikoum !» Les six jeunes assis autour d'un carton, sous un lampadaire, sur un bout de trottoir, tapant le carton, répondent d'une même voix au salut. C'est des jeunes de Baba Hacene, gros village devenu petite ville avec l'extension urbanistique de la capitale qui a gangrené la plaine de la Mitidja où le béton a déraciné les arbres fruitiers et envahi les terres fertiles. Mais ça aurait pu tout autant être des jeunes de Touggourt, Constantine, Sidi Bel Abbès ou Alger… de n'importe quelle ville ou village de cette vaste Algérie dont la population est aux trois quarts jeune, une jeunesse qui veut vivre pleinement son présent, tout en ayant des garanties sur son avenir, son devenir. Mais c'est une équation à plusieurs inconnues. Le présent déjà est hypothétique. Certains diront hypothéqué. Nos six jeunes le soutiennent en pointant le doigt sur tous les responsables, en premier lieu locaux. «Où veux-tu qu'on aille ? Que veux-tu qu'on fasse ? A part un pseudo stade, nous n'avons rien à Baba Hacène, ni ailleurs. Certains disent qu'il faut avoir une voiture. J'en ai une, et je n'ai pas où aller», affirme un de ces jeunes qui disent avoir remplacé le cinéma par le DVD et les concerts de musique par des CD. Il est hors de question d'aller voir un spectacle, encore moins une pièce de théâtre, s'il faut faire toute une expédition pour trouver un moyen de transport ou une place de stationnement. Et il n'y a rien à Baba Hacène ? Si, un bowling. Mais peu de «locaux» le fréquentent. «Ce n'est pas notre monde», dira un joueur avant d'abattre son atout. Direction le bowling. Aménagé dans une villa, il occupe tout le rez-de-chaussée. Au premier étage, on a aménagé une salle de sport. Le jeune gérant qui nous reçoit confirme les dires de nos jeunes joueurs de cartes. «On vient de partout pour des parties de bowling ou de poker mais pas les jeunes de Baba Hacène. Pourtant, on ne ferme la porte à personne, sauf à ceux qui pourraient causer des problèmes, surtout que nous recevons aussi des filles…»A la question de savoir pourquoi, selon lui, il y a cette «sélection naturelle» dans les distractions chez les jeunes, le gérant nous répond que c'est tout simplement une question de milieu, de culture. «Un jeune ne peut pas se distraire et s'amuser tout seul, dans un groupe avec lequel il n'a pas d'affinités», affirme-t-il. D'autres jeunes, plus loin, aux abords d'un hameau, sur la route de Douéra, renchériront : «Nous préférons faire une partie de dominos entre potes et nous amuser avec ce qu'on a plutôt que d'aller dans des endroits où il y a des gens avec lesquels nous n'avons rien à voir.» Par «le rien à voir», ils entendent des centres d'intérêt différents, pour ne pas dire opposés, des modèles et modes de vie autres, des référents culturels aux antipodes… En somme, un fossé qu'approfondit le manque flagrant d'infrastructures et d'organismes dédiés aux jeunes et aux milieux de la jeunesse. Centres culturels, maisons des jeunes, médiathèques, théâtres, cinémas, salles de fête devraient figurer parmi les priorités des responsables. H. G.