Photo : Riad De notre correspondant à Constantine A. Lemili «Chassez le naturel, il revient au galop.» Dans le milieu des arts, et plus précisément à Constantine, cet adage ne fonctionne pas de cette manière. Il est plus évident qu'il ne revienne pas du tout. La bande dessinée, qui n'a jamais existé dans une ville réputée pour sa culture, aurait pu, sans doute, s'implanter, mais les rares accros ayant la capacité de produire un travail de qualité ont préféré, en général pour des raisons politiques, partir sous d'autres cieux. Mais il n'y a pas que les contraintes liées à la seule liberté de penser, il se trouve que l'inertie ambiante, le peu de propension des éditeurs à prendre en charge des talents dormants, les risques de crash en cas d'investissement personnel pour une publication à compte d'auteur font que la bande dessinée est restée une chimère et un rêve inachevé pour bien des rêveurs.Mais la castration est parfois décrétée comme c'est le cas pour Hichem D, un surdoué de la BD à l'imagination débordante et au trait extraordinaire mais qui, en raison de son indépendance, ne produit que pour son seul plaisir, quoiqu'il ait eu de nombreuses opportunités d'intégrer l'Ecole des beaux-arts, mais ayant à chaque fois refusé de s'y rendre : «J'ai une autre conception de la bande dessinée. Pour moi, c'est un art dont la clé de voûte est tout d'abord les sensations personnelles. J'appréhende autrement une situation, la démarche et les moyens pour la croquer. Le trait peut être féroce ou simple, conciliant ou dur. Celui qui est appelé à visualiser mon travail n'est pas dans l'obligation de phosphorer pour comprendre le message. C'est un peu comme la caricature, il s'en trouve qui vous font un simple dessin dont tout le monde saisit rapidement la définition et en temps réduit accumulent la lecture d'une page entière d'un journal et d'autres qui font la caricature et la surcharge de graffitis jusqu'à en disperser le sens et noyer le lecteur dans les interprétations les plus ésotériques. Et, plus grave encore, sans que l'objectif soit atteint par l'auteur.» Notre interlocuteur a donc refusé de rejoindre l'Ecole des beaux-arts parce que, dira-t-il, «il était sollicité du candidat de s'inscrire dans un cahier des charges à même d'altérer son génie créatif. Je crois très sincèrement que des dessinateurs comme Uderzo, Goscinny, Pratt (Corto Maltese), Forton (Bibi Fricotin et les Pieds Nickelés), Morris (Lucky Luke), Gotlib n'ont certainement pas suivi des cours pour créer les superbes personnages devenus cultes avec le temps. Je voulais rejoindre les Beaux-Arts surtout parce que ça meublait un CV au cas où. La bande dessinée c'est comme le football, tu sais y jouer ou non, dans la vraie réalité tu n'apprends jamais ça à l'école malgré toutes les histoires officielles qu'on raconte sur le sujet. Je t'en donne pour preuve toutes les stars formées dans les favella, notre Zizou, Maradona et même Platini». Il est vrai qu'il serait difficile de vouloir, en quelque sorte, embrigader dans un moule trop théorique des aptitudes qui ne peuvent finalement qu'être dénaturées si elles sont d'autorité versées dans une certaine forme d'académisme. En fait, l'incompréhension entre de tels jeunes, des responsables, voire des professionnels est telle qu'il est difficile qu'une solution puisse rapidement émerger. D'où la stagnation pour bien des temps encore d'une quelconque expansion de la BD.