De notre correspondant à Constantine A. Lemili chez tous les acteurs de la scène culturelle que nous avons pu rencontrer, il y a unanimité sur le sujet selon que nos interlocuteurs appartiennent à l'un ou l'autre camp de la culture, c'est-à-dire les créateurs et ceux qui sont censés mettre à leur disposition les moyens de créer. Par voie de conséquence, le discours, forcément, ne pouvait qu'avoir une connotation dichotomique et donc confirmer qu'il n'existe en réalité aucune passerelle possible entre les artistes et les représentants des pouvoirs publics. Autrement dit, les uns sont très peu disposés «naturellement» à faire bouger les choses alors que les autres ne les verraient pas bouger quelle que soit la bonne volonté des candidats à la présidentielle. Ainsi, pour D. Brihi, directeur du palais de la culture Malek Haddad et commissaire délégué à la culture à Constantine, «incontestablement, celle-ci [la culture ndlr] a fait un bond énorme au cours de ces quatre dernières années. Sur le plan local, le secteur est passé d'un budget annuel de 10 millions à 40 millions de dinars et, sur le plan national, le budget alloué aux maisons de la culture a quadruplé également. Bien évidemment, il reste toujours à faire plus dans ce domaine parce que la culture n'est pas quantifiable ou sujette à des objectifs précis, elle est un acte de tous les jours». Une affirmation superbement contrée par les représentants syndicaux de la même structure. «Il est vrai qu'il serait arbitraire de ne pas concéder au pouvoir politique sa réelle volonté d'encourager par tous les moyens la promotion de la culture. Toutefois, c'est plutôt le choix des hommes qui doivent piloter les différents programmes, voire la gestion même de la culture dans toute l'acception du terme, qui est discutable. Nous citerons à titre d'exemple le palais de la culture dans lequel nous nous trouvons actuellement [Malek Haddad, ndlr]. Il suffit d'effectuer une visite dans les salles existantes pour saisir l'ampleur de la déconfiture de la culture et de l'art. L'inutilisation, dans le meilleur des cas, des espaces réputés réalisés dans ce but. Où sont les ateliers de peinture et de sculpture ? Qu'est devenue la vocation du hall principal sauf accueillir des expositions qui n'ont rien à voir avec le créneau ? Et la salle, ne servira-t-elle donc qu'à abriter des séminaires de dentistes, pharmaciens et autres corporations professionnelles et rarement, si ce n'est jamais, des spectacles culturels et artistiques ?» s'interrogent les syndicalistes. M. Ramdani, directeur du Théâtre régional de Constantine (TRC) abonde quelque peu dans le même sens que son homologue du palais de la culture sauf qu'il nuance tout de même ses propos en soulignant qu'«en dépit de toute réaction des pouvoirs publics, ce ne sera jamais assez parce que la culture a par trop souffert d'être le parent pauvre des politiques générales en la matière. Maintenant il faut reconnaître à l'Etat d'avoir boosté la production, l'édition, la multiplication des scènes au cours de ces dernières années. A la décharge des pouvoirs publics, il faut rappeler l'immobilisme imposé en raison de la décennie tragique, de l'angoisse générale générée dans le rang des créateurs, l'inhibition même, conséquence de la pression psychologique. Aujourd'hui, la situation n'est plus la même et nous ne pouvons donc qu'être plus exigeants des candidats en lice pour la prochaine présidentielle comme nous le sommes avec les artistes et nous-mêmes». Sur un autre plan, en requérant le sceau de l'anonymat, un membre d'une association artistique parmi les plus dynamiques de la wilaya, si ce n'est la plus dynamique, matérialise de la manière la plus superbe la dépendance de l'artiste aux pouvoirs publics et surtout le rapport de force inégal à la limite de la sujétion entretenu avec l'administration et la contrainte coercitive détenue par cette dernière. Il évoquera pour nous la marge de manœuvre restreinte en matière de créativité et liberté de ton dans les spectacles et le choix des plateaux dès qu'il s'agit d'une collaboration avec les étrangers…Or, Art et Culture ne sont-ils pas universels, concluant que «les programmes des candidats, si tant est qu'il s'en trouve qui en aient, suintent l'improvisation et la méconnaissance de la réalité du terrain, sinon l'énorme gouffre qui sépare les gens de la culture de ceux qui font la culture à leur place et pour… eux».