De notre correspondant à Constantine A. Lemili Place à l'imagination. C'est la conclusion unanime de toutes les personnes ayant plus ou moins des accointances avec la culture que nous avons approchées au cours de la semaine. Chacun s'ingénie effectivement à pallier le vide sidéral ambiant. Une situation d'ailleurs mise à profit par le centre culturel et la ibliothèque Dilou qui voient, d'un œil très intéressé et pour cause, les rangs des abonnés prendre de plus en plus d'ampleur. Il n'est pas exclu que ni l'un ni l'autre ne puissent plus répondre à la très forte demande et tant pis pour ceux qui stigmatisent les personnes qui s'y rendent d'être des nostalgiques ou des colonisés culturels qui s'ignorent. Mais tout cela n'empêche pas tout le monde de faire dans la débrouillardise et c'est sans doute tant mieux parce que l'investigation à laquelle tout un chacun se voue -histoire de se nourrir l'esprit- ne peut évidemment qu'être de bon augure. I. B. travaille dans un grand laboratoire et vient de rentrer de l'étranger avec dans ses bagages -parce qu'il compte «rester plus d'une année au bled»- une cargaison de films, dont près de neuf cents westerns tous thèmes et nationalités confondus : italiens, espagnols, français, indiens et américains…forcément». Pour notre interlocuteur «Hadopi [la loi antipiratage récemment adoptée par le Sénat français] est malheureusement venue mettre un terme à une caverne d'Ali-Baba où, notamment, nos compatriotes établis en France, contrairement aux Européens moins sevrés en la matière, ont eu tout à gagner dans les téléchargements tous azimuts. Bon, c'est un sport que je vais continuer à pratiquer à Constantine même s'il faut un quart de siècle pour télécharger le plus petit format qui puisse exister.» L. M. G., dans la même situation et de retour du Canada après plus de quinze années passées au Wisconsin, pense déjà à s'abonner «au CCF, j'ai appris que même avec un brin de retard, il est possible d'y trouver les récentes publications, comme il semblerait qu'ils y organisent des projections et des conférences ou rencontres-débats. Donc, pour moi, le dépaysement va être moins brusque qu'il ne l'est comparativement aux nouvelles que j'avais avant de rentrer». Et notre interlocuteur d'ajouter : «Je ne vous cache pas que retrouver aussi la bouille des anciens copains est plus agréable que tout le reste», en ajoutant : «Et puis, il y a les téléchargements.».H. H. est artiste peintre. Il s'est établi à Ghardaïa depuis trois années «A Constantine ? Je m'ennuie… Tu ne peux pas imaginer. Sinon pourquoi j'en suis parti, je crois que le jour où l'a m'a confisqué le seul espace d'expression où je me sentais vraiment dans mon élément naturel, tout a basculé.» Il y a lieu de préciser que H. H. disposait d'un atelier à hauteur du palais de la Culture où il créait. Il a été délogé au même titre que d'autres artistes par la nouvelle direction, laquelle avait argué à l'époque «réhabiliter les lieux pour les restituer ensuite aux locataires,» Lui n'a pas attendu parce qu'il avait considéré qu'il ne s'agissait, en fait, que de faux-fuyants, l'objectif étant de «bouter des artistes un peu trop conformistes aux yeux de certains et sans doute moins dociles» «Je m'ennuie à mort ces derniers jours à Constantine. Pourtant, je suis censé être en vacances. Je m'ennuie rien qu'à m'y trouver, c'est pourtant ma ville et je me rattrape en produisant comme un fou. J'ai malgré tout pris quelques contacts, notamment avec le centre Culturel français, et je pense exposer au cours du mois à venir.»Fella N., une mordue du cinéma, a une toute autre approche de la situation. «J'ai en horreur de télécharger, je me dis que c'est pas honnête et c'est pour cela que je passe mon temps à acheter. Les autres le font [télécharger] dans le cadre d'un piratage officiel dans la mesure où même l'ONDA contribue au pillage des droits d'auteur. Comme je sais que tous les films qui sortent sont déjà disponibles, je cours acquérir. Sinon, c'est la lecture dans la mesure du possible. Malheureusement, la concentration n'y est plus contrairement aux films dont il faut voir seulement défiler les images sans avoir besoin de gamberger.» Il reste, évidemment, ceux qui tuent le temps au cybercafé ou encore les plus vernis qui vont au conservatoire et, enfin, ceux qui n'arrêtent pas depuis des mois de vivre sur le rythme de l'équipe nationale de football, occupés qu'ils sont par les commentaires et, depuis quelques jours, par la confection du drapeau algérien. La performance étant à celui qui réalisera le plus grand ou le plus original. En conclusion, tout le monde végète comme il peut.