L'usine Hayat de fabrication de détergents, implantée dans la zone d'activité de Bouinan, dans la wilaya de Blida, pose un problème d'ordre environnemental. L'émission de substances gazeuses et de liquides nuit à la nature. Les déchets de l'usine sont d'autant plus nuisibles que la nappe phréatique qui se trouve dans le périmètre risque de perdre de sa valeur écologique. Le ministre de l'Environnement prend désormais le dossier en main et n'écarte pas une possible fermeture de l'usine qui emploie environ 600 travailleurs. Le ton a été donné la semaine dernière quand le ministre s'est déplacé sur les lieux pour voir de très près les choses. «J'ai inspecté sur place les anomalies qui nous ont été signalées auparavant. Par la suite, nous avons donné des instructions aux responsables de l'entreprise afin de trouver une solution immédiate à ces problèmes», a déclaré Cherif Rahmani à l'intérieur de l'établissement. L'usine, construite par des Turcs et qui fabrique des détergents et des couches-bébés, se trouve ainsi dans de sales draps. Cherif Rahmani compte décidément imposer un respect total des normes internationales en matière de gestion des déchets industriels. Un délégué de la direction de l'environnement a été désigné à cet effet pour veiller sur l'application des normes relatives à la protection de l'environnement dans l'usine. L'instruction du ministre est sérieusement prise en considération par la direction de la Sarl Hayat. La direction de l'usine vient en effet de lancer un avis pour le recrutement d'un délégué en environnement. L'offre concerne, selon les termes de l'annonce, les titulaires d'un diplôme d'ingéniorat dans le domaine. En plus, bien entendu, d'une expérience. Le discours ferme que tient, depuis, le ministre sur le respect de l'environnement ne veut nullement dire que les portes du dialogue sont fermées. La tutelle semble privilégier la voie des négociations au lieu de celle de la justice. «Nous ne voulons pas freiner la marche de l'investissement étranger en Algérie. Mais nous tenons à respecter les normes de la gestion des déchets pour ne pas mettre l'environnement limitrophe en péril», estime un responsable du ministère au lendemain des engagements tenus par les gestionnaires de l'usine. En quoi consiste vraiment le danger des déchets de l'usine ? Y a-t-il réellement un danger à même de justifier la fermeture de cette usine qui emploie environ 600 travailleurs ? Autant de question que ne cessent de poser les fonctionnaires, les agriculteurs de la région ainsi que les citoyens de la ville de Bouinan. «Des défaillances accidentelles dans le procédé de traitement des rejets liquides provoquent, par moments, la tendance à la basification des effluents liquides rejetés par l'usine. Cela peut causer un danger pour l'environnement, mais aussi le problème de dépôt des tartres qui pourraient obstruer les conduites d'évacuation des eaux usées», a relevé un agronome exerçant dans une ferme mitoyenne. Les autorités locales ne sont pas restées en marge de ce cas puisque le premier responsable de la ville des Roses est intervenu pour dire ce qu'il a à dire à ce sujet. Le wali soutient justement qu'«à quelques kilomètres plus en aval de la Mitidja, les agriculteurs ont relevé, à l'œil nu, de la mousse dans les eaux des puits et de forage». Une expertise était nécessaire avant la construction de l'usine Toutes les parties concernées s'accordent manifestement à reconnaître le danger que constituent les déchets toxiques émanant de l'usine Sarl Hayat, cette société multinationale spécialisée dans le domaine des détergents et de l'hygiène corporelle et que les Algériens connaissent plus à travers les marques Bingo, Test, Molfix et Molped. Les pouvoirs publics n'ont rien à gagner en allant jusqu'à la fermeture de l'usine qui a visiblement permis d'absorber le chômage galopant dans la ville. Et les habitants de Bouinan ne cachent pas leur inquiétude à ce sujet. Un jeune de trente ans, qui tient une modeste épicerie à une centaine de mètres de l'usine, a affiché une grande satisfaction à l'arrivée de plusieurs investisseurs, nationaux et étrangers, dans la région. «Nous étions très loin des indices de développement. Nos ressources se réduisaient à ce que rapportent nos terres. C'était notre seule source de vie. Maintenant, je crois que l'Etat commence à regarder vers nous. Il y a beaucoup de choses à réaliser ici. Bouinan aborde depuis trois ans une étape importante pour son essor économique», nous déclare-t-il. Le contentement des populations locales prend néanmoins un coup de froid venu droit des monts de Chréa dès qu'elles apprennent que l'investissement industriel le dispute à l'exigence de respect de la nature. C'est un véritable dilemme face auquel sont confrontées subitement plusieurs parties : les investisseurs porteurs de projets, les propriétaires de terres arables, les jeunes qui sont depuis longtemps dans la cour d'attente menant à un emploi stable, synonyme d'une réelle existence sociale. Les Bouinanois ne veulent pas voir le rythme de développement de la localité s'arrêter en si bon chemin. Mais aussi bien la population, soucieuse du devenir de la région, que les travailleurs de l'usine gardent l'espoir de Hayat toujours en vie. La raison de cet espoir n'est autre que la disponibilité des Turcs à trouver une solution au problème ainsi que la souplesse exprimée par le ministère de l'Environnement à accompagner l'entreprise dans sa quête de remède à une situation que vraisemblablement personne n'attendait. Beaucoup de personnes se posent d'ailleurs la question de savoir pourquoi on s'est permis un tel oubli au moment où une expertise devait être établie avant même la construction de l'usine. La réponse ne vient pas et tout le monde se plaît à exprimer un étrange étonnement dans un investissement industriel qui exige toutes les précautions. Certains responsables à qui nous avons demandé une explication à cet oubli d'initiés, refusent de s'attarder sur le sujet. Ils ne veulent pas remonter le temps. On préfère agir maintenant qu'il y a urgence. L'urgence exige, à se fier aux termes du département de l'environnement, de procéder à des arrêts systématiques de la production quand un certain seuil de pollution est atteint. «Il faut impérativement définir des valeurs alertes à ne pas atteindre», disait le ministre lors de la visite qu'il avait effectuée sur le site. Les mises au point ministérielles ne se limitent pas au «contrôle du volume des déchets toxiques». Le ministre est passé également à une petite dose d'interdiction. Toute opération de stockage de produits, de matières premières ou de produits finis est interdite. Devant les engagements des responsables turcs à mettre fin à une telle menace sur l'environnement, les pouvoirs publics n'écartent pas un éventuel recours à une expertise internationale. Il faut savoir que ce n'est pas la première fois que l'usine Hayat fait l'objet d'un rapport. Celui de la commission installée il y a bientôt deux ans par la direction des mines n'a pas fait avancer les choses même s'il a confirmé le danger que constituent les déchets toxiques. Il semble en définitive que Hayat est en train de consommer son ultime sursis. Pour que l'usine se maintienne en vie, il ne faudrait pas qu'elle mette en péril la vie des autres ainsi que le fonctionnement de l'écosystème. A. Y.