Photo : Sahel Par Hasna Yacoub «Honteux, inadmissible, ce taux est celui des républiques bananières […].» C'est en ces termes que Louisa Hanoune a qualifié les résultats du scrutin du 9 avril dernier, affirmant les rejeter dans le fond et la forme. A l'adresse du président de la République, réélu à plus de 90% des suffrages exprimés, elle dira : «Un président élu grâce à une élection entachée de fraude est un président fragile. Bouteflika est aujourd'hui otage de cette fraude et ne pourra pas opérer librement pour solutionner les problèmes de l'Algérie.» Dans une conférence de presse qu'elle a animée hier au Centre international de presse (CIP), la secrétaire générale du PT, classée deuxième lors de cette élection avec 4,22%, a affiché son regret que l'Algérie n'a toujours pas réussi sa rupture avec les pratiques du parti unique : «J'avais déclaré que le 9 avril sera un rendez-vous avec l'histoire pour le peuple, mais il est clair aujourd'hui que ce rendez-vous a été différé.» «En 1997, lorsqu'on a participé, le sang coulait, en 2002, la République était visée, en 2004, il y avait un danger de guerre civile, en 2007, nous avons soutenu la réconciliation, mais, aujourd'hui, nous nous sommes dit que les conditions sont réunies pour une ère nouvelle. Aujourd'hui, nous ne pouvons pas accepter ces pratiques, il n'y a aucune raison qui le justifie, et si je ne dis rien, je serai complice», déclare Louisa Hanoune, avant d'affirmer que son parti avait délégué un nombre considérable de contrôleurs dans les centres et bureaux de vote, ce qui lui permet d'avancer des statistiques proches de la réalité et de crier à la fraude. «Nous reconnaissons que le taux de participation a été considérable, mais il n'a pas atteint les 74% annoncés. Des chefs de centre et des responsables d'APC ont manipulé les chiffres dans l'ensemble du pays. Cela a concerné également le nombre des bulletins nuls» a-t-elle expliqué. «On n'avait pas besoin de gonfler le taux de participation», dit-elle. Et d'ajouter : «90% de voix pour un candidat, c'est du jamais-vu !! Ce taux n'est encore pratiqué que dans le seul pays stalinien qui existe encore dans le monde. Même chez nous, à l'époque du parti unique, ce n'était pas comme ça.» Revenant sur une déclaration du chef de l'Etat lors de sa campagne, Louisa Hanoune déclare : «‘‘Je veux la majorité absolue'', avait déclaré le Président et je ne sais pas si c'était un vœu ou une instruction mais ceux qui l'ont écouté, se sont exécutés», avant de se rattraper et dire : «Je ne peux pas dire qu'il s'agit là d'une instruction de la centrale. Je respecte énormément le ministre de l'Intérieur pour ses positions mais il se peut que ses subalternes ne l'ont pas informé.» Elle citera quelques exemples où le bourrage des urnes a été pratiqué, affirmant que, selon les contrôleurs du PT, «le candidat Bouteflika nous devançait mais pas de beaucoup. Je le talonnais dans de nombreuses wilayas. Selon nos statistiques, le score du PT est d'au moins 30%». Soutenant encore une fois que le clientélisme et le parasitisme sont source de cette situation, Louisa Hanoune regrette «qu'un président d'APC, en réponse à notre représentant qui dénonçait le bourrage, déclare : ‘‘moi, je préserve ma place''». Sans prendre de gants, elle s'adressera ensuite à tous ceux qui lui ont signifié que son classement est honorable : «L'obtention du second score lors de ce scrutin ne m'intéresse pas. Je n'ai jamais cherché une place. On a toutes les preuves de la fraude et nous sommes prêts à témoigner parce que cela relève de la crédibilité de l'Etat. C'est une honte vis-à-vis du monde qui nous regarde. Les résultats annoncés sont une provocation politique grave.» Et, par rapport au monde justement, Mme Hanoune considère que les félicitations adressées par le président de l'UE au chef de l'Etat «font peur. Nous avons payé cher la fraude de 2004 : libéralisation des hydrocarbures, accords de l'UE et négociations avec l'OMC». Quant aux «préoccupations» de Washington par les accusations de la fraude, Louisa Hanoune dira : «Ce pays devrait être plutôt préoccupé par ce qui se passe en Irak et en Afghanistan.» Louisa Hanoune qui promet ne pas laisser passer cette fraude affirme cependant que son parti n'est pas partisan «des révolutions orange. Nous protégeons notre patrie». Elle conclura en s'interrogeant sur les raisons qui ont poussé «cette machine de la fraude à bourrer les urnes. Bouteflika aurait peut-être gagné dès le 1er tour sans fraude. Possible qu'un second tour se soit déroulé. Mais, ce qu'il faut retenir, c'est que ceux qui ont fraudé ont placé le pays dans une situation difficile. Je ne peux pas accuser le Président ou son ministre de l'Intérieur, car M. Bouteflika est un fin diplomate et sait que de tels résultats le fragilisent. Nous ne connaîtrons jamais combien d'Algériens ont voté et même le président de la République ne saura pas combien d'Algériens ont voté par conviction pour sa personne». H. Y. Quelques exemples de fraude et de bourrage des urnes cités par Mme Hanoune - «A Sidi Moussa, notre contrôleur courrait derrière le président d'APC qui avait fui avec les PV en lui disant : ‘‘Ne vous inquiétez pas vous êtes classé deuxième''». - Le directeur de campagne de Louisa Hanoune a découvert, en se présentant pour voter, qu'une personne avait déjà voté à sa place. - A Khenchela, dans le bureau de vote où sont inscrits un membre du comité central du PT et sa famille, Louisa Hanoune n'a obtenu aucune voix ! - Des PV de dépouillement n'ont pas été communiqués aux contrôleurs du PT. - Louisa Hanoune a en sa possession des PV vierges et signés. - Des PV ont été établis sans l'ouverture des urnes, ni dépouillement. - Des bureaux de vote ont affiché un taux de participation de 100% à 16 h. Les suffrages exprimés sont à 100% en faveur de Bouteflika. - Les résultats sur des PV des contrôleurs diffèrent de ceux établis au niveau des wilayas. - Des contrôleurs du PT ont été agressés physiquement, menacés pour avoir insisté à suivre les urnes. Certains ont assisté, impuissants à l'opération de bourrage et des urnes ont été remplacées dans la wilaya de Khenchela. - Le coordinateur de la Commission nationale de surveillance des élections «a disparu avec le cachet» afin de ne pas permettre aux membres d'établir leurs recours. La SG du PT dénonce une manipulation contre sa personne Louisa Hanoune a dénoncé hier avec vigueur une manipulation contre sa personne. Elle affirme qu'au niveau du bureau de vote où elle a l'habitude d'accomplir son devoir électoral, une file de jeunes filles faisait la queue devant la porte. «J'ai pensé que c'était une nouvelle dynamique dans un premier temps et cela m'a réjoui. J'ai appris par la suite qu'il s'agit de jeunes stagiaires de l'Ecole de police de Aïn Benian. Il s'agit donc d'une manipulation pour donner l'illusion d'une forte participation sachant que ma présence pour accomplir mon devoir allait être accompagnée par celle de la presse. Je n'ai pas l'intention de me taire et le chef de cabinet du ministre de l'Intérieur a promis que le coupable de cette manipulation sera puni.»