Photo : Sahel Par Abdelkrim Ghezali Qu'y a-t-il face au pouvoir ? Rien ou presque. L'opposition ne se fait pas avec des sigles, des discours et des dénonciations. L'opposition est avant tout une alternative politique crédible, avec une représentation nationale, une assise sociale, une présence permanente sur le terrain et une constance dans les choix fondamentaux et dans la démarche. La politique qui mène au pouvoir est aussi l'art du possible, la capacité de s'adapter aux nouvelles donnes et surtout la prédisposition à être à l'écoute de la réalité sociopolitique de la société, d'en saisir les palpitations et de formuler des réponses propres à chaque période sans renier ses principes fondamentaux et ses objectifs stratégiques. Le contexte du pluralisme algérien a ses particularités épistémologiques et sa sociologie politique. Octobre 1988 s'est imposé dans les discours politiques comme référence originelle de l'ouverture démocratique comme si la classe politique qui en est issue avait besoin de cette légitimité historique et populaire pour se convaincre que la démocratie est un acquis populaire inaliénable et irréversible. L'intifadha d'octobre 1988 n'est pourtant pas une dynamique sociale homogène, avec un programme et une direction politique consciente de ses objectifs, de sa démarche. Il s'agit en fait d'une jacquerie légitime dans le sens où elle exprime un ras-le-bol et un rejet de la hogra, du népotisme et des injustices. Ce sont là des éléments qui auraient pu servir de base à une plate-forme de revendications sociopolitiques si l'opposition clandestine des années quatre-vingts en avait saisi les balbutiements. Mais l'élite politique des années de plomb connaissait plus le pouvoir que la société et avait déjà intégré dans sa logique que tout changement ne pouvait venir que des séismes et des luttes intestines qui secouaient le pouvoir. Donc, les événements d'octobre 1988 n'ont servi que les objectifs du système dont des factions se sont engagées dans un bras de fer depuis l'échec de la révision de la Charte nationale, afin d'opérer un tournant vers l'économie libérale. Octobre 1988 était l'occasion idoine pour affaiblir et isoler les tenants du dirigisme et du tout Etat et l'ouverture démocratique n'était que le pendant chimérique de cette nouvelle orientation qui obéissait plus aux besoins d'une classe sociale et politique qui s'est enrichie qu'aux besoins réels de la société dans son ensemble. A l'exception des islamistes, qui faisaient déjà un travail de proximité, aidés en cela par une somme de facteurs subjectifs mais aussi par le soutien implicite du pouvoir, le reste de l'opposition clandestine était coupée des masses, puisqu'elle s'est retranchée dans ses espaces traditionnels et commodes comme l'université et les microcosmes des élites intellectuelles et n'a jamais réussi à les préparer à s'engager dans un combat démocratique avec tout ce qu'impliquent ces tâches historiques comme bouleversements sociaux et culturels. Entre les mosquées et les quartiers qu'occupaient les islamistes et les salons feutrés de la capitale et des universités qu'occupait le courant démocratique et de gauche, le rapport de force a vite penché en faveur de ceux qui ont côtoyé les masses. Même face à la déferlante islamiste, les démocrates sont restés atomisés, entretenant des rapports conflictuels alors qu'ils étaient dans une position inconfortable entre l'enclume et le marteau dont les chocs allaient entraîner la nation et l'Etat vers des dérives tragiques. Dans ce duel entre pouvoir et islamistes, des choix s'imposaient aussi bien à la société qu'à la classe politique. Si la société a globalement opté pour un soutien à la puissance publique, l'opposition allait approfondir ses divergences par des options antagoniques. Lorsque le terrorisme a été vaincu, les démocrates se sont retrouvés affaiblis plus que jamais sans prise sur la réalité et sans pignon sur rue. L'épisode du printemps noir a enfoncé le clou et a complètement tétanisé une opposition démocratique qui a révélé ses limites et son incapacité chronique à se présenter comme une alternative crédible et viable. Aujourd'hui, seules deux forces réelles occupent le terrain politique. Les partis du pouvoir et les islamistes modérés de Djaballah, même si ce dernier est mis en veilleuse provisoirement. Son retour progressif sur la scène politique pourrait servir de catalyseur pour toute la mouvance islamiste qui n'attend que le moment opportun pour renforcer ses positions et revenir à la charge même si elle a tiré les leçons des erreurs tragiques du FIS dissous et de la violence qui n'a fait que renforcer et légitimer le pouvoir. Ce qui est certain, c'est que l'islamisme est une force réelle, latente et patiente. Ce qui est sûr, c'est que les démocrates sont une somme d'îlots que séparent des flots furieux et qui refusent de jeter des ponts entre leurs rives accidentées afin que l'archipel s'offre un rivage sûr et rassurant.