Comme il s'y était engagé, le président Barack Obama a publié jeudi des mémos confidentiels de la CIA détaillant l'éventail des supplices utilisés par la centrale de renseignements dans sa lutte antiterroriste depuis le 11 septembre 2001. Sur le principe, le geste du chef de l'Etat américain est conforme à son souci de transparence et de moralisation marquant sa gouvernance depuis son avènement à la Maison-Blanche. Il est d'autant plus cohérent que son premier acte politique, fort symbolique, au lendemain de son investiture, fut d'interdire l'usage de la torture et d'annoncer son intention de fermer le stalag de Guantanamo. Son attitude porte toutefois en elle ses propres limites : la version diffusée est expurgée alors que les tortionnaires ne seraient pas jugés. Transparent mais prudent, il a réitéré à ce propos son opposition à une enquête exhaustive au sujet de la lutte contre le terrorisme depuis la destruction des Twin Towers. La décision du président Obama est l'expression même de la morale et du pragmatisme. Elle s'apprécie en termes de risques, de pertes et de gains. Sa motivation est certainement d'ordre politique et philosophique. S'il croit donc à la transparence et à la responsabilité, son souci premier est de redorer le blason terni des Etats-Unis. Si elle n'a en rien cédé de son leadership politique et militaire, l'hyperpuissance américaine a, en revanche, beaucoup perdu de son autorité morale sous la cynique direction de l'abracadabrantesque George W. Bush. Les techniques de torture, dites «agressives», «coercitives» ou «correctrices», «ont miné notre autorité morale et n'ont pas amélioré notre sécurité», a-t-il dit à ce sujet. L'inefficacité est donc le résultat contre-productif de la philosophie du tout-sécuritaire qui dérive parfois vers l'usage immodéré de la torture aux Etats-Unis, «une nation de lois» comme l'a rappelé Barack Obama. Il ne s'agit donc pas d'une opération de pleine vérité, l'exercice de transparence se heurtant aux limites objectives de la politique et de la raison d'Etat. «C'est un temps de réflexion, pas de vengeance», car les agents de la communauté du renseignement américain «sont sur les lignes de front d'un monde dangereux», a précisé Barack Obama. Pragmatique à souhait, il replace ainsi son action sur la ligne du juste milieu, celle qui l'incite à «rejeter la fausse alternative entre la sécurité et les idéaux» des Etats-Unis. En bon protestant, Barack Obama sait qu'une faute reconnue et expiée, c'est autant de crédit engrangé pour celui qui va à confesse. Il n'ignore pas aussi que l'exercice de confession est tout aussi bénéfique pour l'image de marque de l'hyperpuissance américaine. D'ailleurs, le directeur du renseignement américain, Denis Blair, ne dit pas autre chose quand il affirme qu'«en avril 2009, cela paraît choquant et dérangeant» mais qu'il fallait «replacer cela dans le contexte de l'horreur du 11 septembre». Quant aux sévices détaillés dans ce manuel du petit bourreau de la CIA, même s'ils sont parfaitement répréhensibles, leur éventail relèverait cependant de la gifle d'instituteur tiers-mondiste en colère. C'est d'autant plus vrai qu'il s'agit de les comparer aux techniques de torture raffinées utilisées sous des cieux moins cléments. Les méthodes utilisées, telles que décrites dans les mémos de la CIA, sont notamment «la frappe insultante au visage», «la frappe au ventre», «la privation de sommeil», «les mains menottées» et «la position de stress». Techniques ailleurs banales, courantes dans le premier commissariat de police du coin. Même hautement condamnables, ces «techniques» souffriraient la comparaison avec le «supplice de Qobus», la «technique de la baignoire», du «chiffon imbibé», de «la toupie», de «la bouteille» ou encore de la gégène, du fer à repasser chauffé à blanc et de la goutte d'eau. La loi de la relativité est aussi valable dans le domaine immoral de la torture. Le degré d'immoralité de tout acte de torture est inversement proportionnel au degré d'avancement démocratique des nations. N. K.