Photo : Riad Par Abdelkrim Ghezali Dans son discours d'investiture, Bouteflika avait appelé la presse à l'aider à combattre la corruption qui fait des ravages dans les institutions, dans les secteurs économique et commercial, dans l'administration et les services publics, dans la société, à tous les niveaux. Rien n'est épargné par cette gangrène puisque même l'accès à ce qui est de droit ne peut se faire dans certains cas qu'en passant par la tchipa. La presse, autant que la société civile, peut en effet jouer un rôle important dans la dénonciation de la corruption et des corrupteurs, mais uniquement en théorie. Car, dans la pratique, l'accès aux sources d'information, aux dossiers des marchés, aux documents administratifs et financiers, qui peuvent renseigner sur les cas de corruption, est quasi impossible pour les journalistes. Même pour mener une enquête banale sur le fonctionnement ou l'état des lieux dans un hôpital, dans un service de l'administration, ou pour faire parler un responsable d'un organisme, l'organe de presse est obligé de demander l'autorisation à la tutelle pour pouvoir effectuer son travail. Une enquête de presse est censée être menée dans la discrétion et l'anonymat pour pouvoir refléter la réalité d'un secteur sans embellissement ni complaisance. C'est pourquoi les carences et les malversations ne se révèlent que lorsqu'une catastrophe se produit et que des responsables se retrouvent face à une réalité qu'ils ne peuvent occulter. C'est à ce niveau que se pose la problématique de l'accès aux sources de l'information et la nécessité d'une transparence totale dans la gestion des deniers et du patrimoine, dans les marchés publics, dans l'octroi de logements, du foncier immobilier, industriel et agricole. «La presse nationale doit s'intéresser de manière soutenue à toutes les questions nécessitant débat et suivi. Elle ne doit marquer aucune hésitation à combattre les fléaux sociaux que sont la complaisance, le clientélisme, le régionalisme, la bureaucratie et la corruption. Elle doit orienter son combat contre tous les maux susceptibles de propager la culture du désespoir et de la délinquance.» Ce sont là les propos du président de la République à l'occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse. La majorité des journalistes n'en demandent pas moins, cependant, sans la constitutionnalisation et l'institutionnalisation du droit des journalistes à accéder à toutes les informations qui leur permettent de faire correctement leur travail, il est vain de croire que la lutte contre la corruption, les détournement de fonds et toutes les malversations puisse aboutir. Pis encore, la pénalisation des délits de presse, dans cet état de fait, décourage les journalistes à s'intéresser à des dossiers de corruption avérée faute de pouvoir fournir des preuves tangibles. Ainsi, les corrupteurs et les corrompus sont protégés de facto aussi bien par le code pénal que par l'omerta régie en règle par les institutions publiques et l'interdiction de fait d'accéder à des dossiers et documents de nature à aider la presse à faire la lumière sur des cas d'enrichissement rapide et illégal. Il arrive même que l'on fasse taire la presse par une forme de corruption qui ne dit pas son nom et que certains journalistes acceptent, devenant ainsi complices dans l'aggravation de ce phénomène antinomique avec les principes et l'éthique journalistiques. La responsabilité de la presse dans le travestissement des valeurs humaines et de l'éthique s'explique par sa dislocation et son atomisation face à une montée fulgurante de lobbies d'intérêts divers, aussi bien politiques qu'économiques, mais aussi des intérêts de mafieux et prédateurs. L'Etat de délabrement de la corporation a permis toutes les dérives en son sein mais aussi des dérives des pouvoirs publics qui ont abrogé les dispositions légales régissant les conseils supérieurs de l'information et de l'audiovisuel et ont pénalisé les délits de presse. L'absence de toute organisation verticale et horizontale a livré la presse poings et pieds liés à des groupes de pression et d'intérêts, devenant ainsi l'otage de ses propres faiblesses et faisant du journaliste un fonctionnaire rentier dans le meilleur des cas. L'absence d'une autorité morale, désignée et reconnue par la corporation, a permis à des parasites de s'infiltrer dans les rangs de la presse et autorise de facto les pouvoir publics à régir une fonction en élaborant des projets de loi sans consulter les journalistes et à vouloir délivrer la carte nationale de presse qui était du ressort du Conseil supérieur de l'information, gelé depuis 1993.N'est-il pas temps que la corporation reprenne en mains sa destinée et assume sa responsabilité pour se libérer de toutes les tutelles autoproclamées et de tous les lobbies dont elle est l'otage pour se consacrer à son rôle noble d'informer et de défendre toutes les libertés et tous les droits sans se compromettre et sans faire de concession ?